Nouakchott en quête perpétuelle d'alliances contre Dakar et Rabat

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Le 12/02/2017 à 14h52, mis à jour le 12/02/2017 à 16h38

Ne pouvant plus s'appuyer sur Jammeh, Mohammed Ould Abdel Aziz renforce son alliance avec José Mario Vaz de la Guinée-Bissau. Pour diverses raisons, la Mauritanie est dans un jeu permanent d'alliances contre Dakar et Rabat. Mais beaucoup parlent aussi de divers trafics entre certaines capitales.

A peine Yahya Jammeh quitte-t-il Banjul que José Mario Vaz, le président bissau guinéen est l'invité de marque de Nouakchott. "Pour nombre d’observateurs cette rencontre inédite entre les deux chefs d’État, Mohamed Ould Abdel Aziz et José Mario Vaz vise à reconsidérer la position des deux pays au niveau sous régional, après les événements de la Gambie", commente le site lauthentic.info.

Mais à Nouakchott, dans les salons, on fait une toute autre analyse aussi bien de l'engagement de Mohamed Ould Abdelaziz dans la crise gambienne que de cette visite. Nul n'ignore l'implication des uns et des autres dans les trafics en tous genres, y compris ceux de la drogue et des devises au sommet de l'Etat mauritanien de Ould Abdel Aziz, de l'Etat gambien de Yahya Jammeh et de l'Etat bissau-guinéen de José Mario Vaz. A présent que Jammeh n'est plus sur place, il faut bien que les affaires se poursuivent.

En Mauritanie, il suffit d'évoquer le "Ghanagate", pour que tous les regards se tournent vers le palais présidentiel. "Depuis des années, la presse mauritanienne avait révélé courageusement les écoutes, où l'on entend une voix proche de celle du président Aziz, alors chef de la garde présidentielle, évoquer au téléphone en 2005 la remise de faux dollars avec un corespondant en Guinée. Mais (...) Aziz protestait de son innocence: un faux grotesque, tonnait-il! Et une voix qui n'était pas lamienne!", écivait Le Calame. D'ailleurs, ladite voix expertisée par Le Monde Afrique s'était révélée être celle de Mohamed Ould Abdel Aziz.

Pour la Guinée-Bissau, plus personne ne doute qu'il a toujours été un Etat très impliqué dans les narcotrafics. D'ailleurs, l'ex-chef d'Etat major de la marine, Bubo Na Tchuto, un autre proche de Nouakchott, vient de passer trois ans dans les prisons américaines pour trafic de drogue. 

Guinée Bissau: l’ex-chef d’état-major de l’armée condamné pour trafic de drogue aux Etats-Unis

Le Gambien Yahya Jammeh est également cité dans ce type de commerce. Les virées nocturnes, mais régulières, de son avion présidentiel ont fait dire que ce n'était certainement pas pour transporter une cargaison ordinaire. C'est dire que cette visite de Vaz en Mauritanie qui n'est d'ailleurs pas la première est aussi synonyme de consolidation des "relations de business" en tous genres, comme cela se commente à Nouakchott. Mais, il y a bien entendu le volet diplomatique, car les affaires n'excluent pas la géostratégie. 

Ainsi, outre les courants d'affaires de toute nature, avec ce nouvel axe, Nouakchott souhaite montrer qu'elle peut toujours être nuisible au voisin du Sud, malgré le départ de Jammeh et donc du soutien aux rebelles casamançais. Ainsi, la Guinée Bissau qui partage une longue frontière avec le Sénégal peut jouer le rôle de la Gambie au temps de Jammeh en servant de refuge aux rebelles qui pourront trouver dans la forêt frontalière un nouveau sanctuaire pour mener leurs opérations au cas où la paix définitive ne serait pas au rendez-vous, en s'appuyant sur le soutien de ses partenaires. Une manière de montrer que la pression restera intacte malgré le nouvel axe Dakar-Banjul. 

La Mauritanie qui se sent constamment menacée d’isolement par l’axe Dakar-Rabat essaye d'élargir ses zones d'influence. Cette situation inconfortable qu’elle vit depuis les indépendances la pousse à avoir des réactions épidermiques à l’égard de Dakar et quelquefois vis-à-vis de Rabat. Deux alliés que tout semble unir. Aujourd'hui, la Mauritanie veut nouer une alliance avec la Guinée-Bissau et cherche à renforcer son amitié avec l’Algérie qu’elle a toujours soutenue.

Dakar et Rabat ont une indéfectible relation diplomatique, ce que les faits récents ont montré. «Nous ne troquerons pas nos amitiés avec le Maroc pour un poste à l’Union Africaine», avait déclaré, Mankeur Ndiaye. Ces propos tenus par le ministre sénégalais des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, au lendemain de l’échec du candidat sénégalais à l’élection de la présidence de la Commission de l’Union Africaine, en disent long sur l’étroitesse des relations entre Dakar et Rabat. Une amitié que ne semblent pas apprécier l’Algérie et La Mauritanie.

Dans sa livraison du 25 janvier, le Quotidien d’Oran pointait du doigt le Sénégal qui selon la publication «obéit au doigt et à l’œil au Royaume Chérifien». Alger reproche au Sénégal d’avoir battu campagne pour la réintégration du Maroc à l’Union Africaine ce qui pourrait avoir, comme conséquence, l’exclusion de la République arabe sahraouie démocratique de l’organisation continentale. Mais, Papa Oumar Ndiaye ne s’est pas fait prier pour répliquer. «Le royaume du Maroc en tant que pays africain a le droit de demander son admission a l’Union Africaine», avait déclaré, l’ambassadeur sénégalais en Algérie».«Le Sénégal est un pays souverain, totalement indépendant dans ses prises de position, qui a toujours fondé ses actes sur des principes». Cette déclaration n’a semble-t-il, pas plu à Alger. Encore moins à Nouakchott. N'oublions pas que tous deux sont des soutiens de la RASD.

Les choix diplomatiques de Dakar sont clairs. En menant campagne pour le retour du Maroc à l’UA, le Sénégal a, par la même occasion, renforcé ses liens avec le Maroc. Le Sénégal a toujours servi de porte d’entrée en Afrique subsaharienne au royaume chérifien qui nourrit beaucoup d'intérêt pour cette partie du continent. Son implication dans le règlement pacifique de la crise post-électorale gambienne en est un parfait exemple. 

Dakar-Abuja-Rabat, un axe économique solide

Nul doute que Dakar, Abuja et Rabat nourrissent des ambitions économiques pour la sous région ouest-africaine. Et ceci ne peut se réaliser que dans la paix et la stabilité. D’une part, le Maroc a affiché son intention de poursuivre sa diplomatie économique. D’autre part, le Nigeria veut, au maximum, tirer profit de son potentiel énergétique. Quant à Dakar, la découverte récente des gisements de gaz sur sa côte atlantique lui impose d’avoir des alliés économiques forts.

Les coups de feu tirés par les garde-côtes mauritaniens sur des pécheurs sénégalais à la suite de l’appel d’un journaliste sénégalais à l’endroit des Harratines, qui selon lui, doivent prendre les armes, illustre bien cette tension. Cependant, les autorités des deux pays ont su mettre de côté leurs divergences quand il a fallu signer des accords pour dresser un pont sur le fleuve Sénégal reliant les deux Rosso. Le siège se trouvera en Mauritanie tandis que le Sénégal sera en charge de la gestion. Preuve qu’avec une volonté politique sincère, les deux parties peuvent surseoir à leurs divergences, même si du côté mauritanien, on craint un isolement par rapport aux autres pays qui l’entourent.

En Mauritanie comme au Sénégal, on est conscient du destin commun qui lie les deux pays. Géographiquement, ils partagent le fleuve Sénégal qui est indivisible. Culturellement, ce sont les mêmes peuples qui vivent sur les deux rives du Sénégal. A cela, s’ajoutent les gisements de gaz qu'ils devront exploiter ensemble. 

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 12/02/2017 à 14h52, mis à jour le 12/02/2017 à 16h38