Entre le Sénégal et le Maroc, c’est une «histoire de famille» de plus de mille ans. En effet, les premiers contacts entre les deux pays remontent aux temps immémoriaux des conquêtes Almoravides. De ce va et vient constant entre Marocains et Sénégalais, les voyageurs de part et d’autre vont favoriser le brassage entre les deux peuples, avec le commerce et, surtout, l’islam confrérique comme ciment.
On raconte que c’est au 10e siècle qu’un Fassi marocain (originaire de la ville de Fès) convertit un chef sénégalais à l’islam. Un acte qui donna un déclic à la pénétration de la Tidjaniya au Sénégal, confrérie qui compte aujourd’hui des millions de disciples sénégalais. D’ailleurs, beaucoup de ces derniers effectuent, chaque année, le pèlerinage au mausolée de Cheikh Ahmed Tidjani à Fès.
Aujourd’hui, s’il y a une importante diaspora sénégalaise au Maroc, il y a aussi des familles marocaines installées au Sénégal depuis presque un siècle et demi. Des patronymes comme Bengeloun, Diouri, Hammoudi ou Lahlo font ainsi partie intégrante de l’histoire métissée de Saint-Louis, la vieille ville du nord du Sénégal. Mais comment ces Marocains sont-ils arrivés au Sénégal ? Comment ont-ils réussi leur intégration ? Ils sont issus globalement des familles bourgeoises de la ville spirituelle de Fès ou de Marrakech.
Nous avons essayé de remonter l’histoire, en interrogeant quelques descendants de cette communauté. «Le Maroc c’est un pays métissé avec une forte composante de Berbères et de Noirs venus combattre dans l’armée royale. C’est aussi un pays de commerçants, qui sont présents dans le monde entier. On les trouve en Suède, en Angleterre, aux Etats-Unis. Mais, en dehors de la France, les plus importantes diasporas marocaines sont installées en Belgique et au Pays-Bas. C’est à travers ce même mouvement que certains se sont installés au Sénégal», nous explique un diplomate Sénégalais à la retraite issu de l’une des plus anciennes familles fassi installées au Sénégal.
Une histoire totalement différente avec celle des Libano-Syriens
Né à Louga et ayant fait ses études à Saint-Louis et à Dakar, avant de passer 31 ans au ministère sénégalais des Affaires étrangères –il a été ambassadeur du Sénégal– notre interlocuteur, qui souhaite garder l’anonymat, est le parfait exemple de cette intégration réussie au pays de la Téranga. «Quand ils (les migrants marocains) vont dans un pays, ils prennent la nationalité de ce pays, s’intègrent parfaitement et ne gardent que de lointaines attaches avec le Maroc», dit-il.
Aujourd’hui, il est difficile de connaître le nombre exact de la communauté marocaine sénégalisée. Mais on n’en dénombre plus qu’une centaine à Saint-Louis. Avec l'indépendance, elle s'est repliée sur Dakar. Elle est très présente dans le commerce. La rue Mohammed V du grand marché Sandaga ressemble beaucoup à un souk marocain avec des boutiques tenues par ces commerçants qui y vendent des produits "made in Morocco" : Djellaba, babouches, tapis, chechia, etc.
La plupart des membre de cette communauté réside dans les quartiers de Fann-Hock et Plateau, en plein centre de Dakar.
A côté des commerçants, on trouve aussi une forte colonie d’étudiants marocains qui fréquentent essentiellement la Faculté de médecine de l’Université de Dakar. Enfin, depuis quelques années, à la faveur de l'expansion des entreprises marocaines en Afrique subsaharienne, notamment les banques, compagies d'assurances, entreprises du BTP et des NTIC, on dénombre un nombre croissant de Marocains expatriés au Sénégal.
Ainsi, si le nombre de la vieille communauté marocaine au Sénégal semble avoir beaucoup diminué au fil du temps du fait que «certains sont rentrés au Maroc, d’autres sont restés, ont pris la nationalité sénégalaise, se sont mariés avec des Sénégalais(ses). Et comme beaucoup étaient métissés avant de venir, cela rend plus difficile de les distinguer des autochtones», ajoute notre source.
Toutefois, selon les projections, on recense un peu plus de 5.000 Marocains au sénégal, en ne tenant pas compte de ceux qui sont devenus des Sénégalais tout court.
Mais il ne faut surtout pas faire le parallèle entre l’histoire de la communauté marocaine au Sénégal et celle des Libano-Syriens. «C’est une histoire totalement différente», insiste notre diplomate à la retraite. En effet, les Libano-Syriens –dont le pays était un protectorat français à la sortie de la deuxième Guerre mondiale– ont été amenés en Afrique pour servir de «relais» entre les colons et les autochtones, notamment dans le négoce de l’arachide, alors que les Marocains, grands négociants depuis l’époque Almoravide, ont été attirés par le commerce et ont fini par s’installer pour de bon.
Une présence antérieure à la colonisation française
Ainsi, les premiers commerçants musulmans à s’installer à Saint-Louis (ancienne capitale du Sénégal, et de l’AOF pendant la colonisation) furent des Marocains. Beaucoup sont arrivés dans la deuxième moitié du 19e siècle, plus précisément en 1860. Leur présence est historiquement située dans la partie nord de l’île de N’Dar (nom wolof donné à Saint-Louis) à Lodo. Cette communauté, dont certains sont d’origine chérifienne, donc issus de la famille du Prophète, est très respectée à Saint-Louis pour son érudition.
D’après Saba Bengeloun, membre de l’Association des Marocains du Sénégal, la présence marocaine à Saint-Louis précède même l’arrivée des colons Français. «Les colons ont trouvé les Arabes sur place. A partir du 11e siècle, époque pendant laquelle les Almoravides ont pénétré dans la zone subsaharienne, les Marocains ont figuré parmi ceux qui ont accompagnés Abdallah Bnou Yassine (leader spirituel de la dynastie des Almoravides, décédé en 1059 : source Wikipédia).
Au 15e siècle, lorsque ce commerce a périclité, le souverain marocain de l’époque, Al Mansour, a envoyé des colons qui se sont installés dans la zone du Niger. A partir de là, beaucoup d’entre eux, avec la fin de la colonisation du Soudan occidental, la plus grande partie est descendue dans les autres zones. Le mouvement s’est accéléré au 18e siècle, date de l’arrivée de beaucoup de familles marocaines à Saint-Louis», explique-t-elle dans un entretien accordé au quotidien «Le Soleil» il y a deux ans.
Retraçant l’arrivée des premiers Marocains sur les côtes saint-louisiennes, cette dernière explique, dans le même entretien, qu’avec le déclin du commerce transaharien, et avec l’arrivée des Européens sur les côtes africaines, les négociants marocains étaient obligés de se déplacer vers la côte pour continuer à s’adonner au commerce, leur principale activité. Ce mouvement est appelé la période des «grands déplacements» du Maghreb vers l’Afrique subsaharienne. C’est aussi ce mouvement qui a permis l’islamisation de cette partie de l’Afrique.
Une communauté bien intégrée
«Nous gardons nos us et coutumes tout en étant ouverts à la culture locale. Nous portons nos caftans, nous organisons nos mariages suivant la tradition marocaine, mais nos filles portent en même temps des tailles basses comme les Sénégalaises», soulignait, dans le même entretien, Saba Bengeloun dont les deux grands-parents sont métissés à partir de Saint-Louis.
Avec le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar, beaucoup ont migré vers cette seconde ville. A l’image des Libano-Syriens, ils se sont installés dans le quartier du Plateau, en centre-ville. Aujourd’hui, leurs maisons sont entourées par les buildings administratifs et les commerces. A la veille des indépendances, en dehors des commerçants, on a assisté à l’arrivée d’une nouvelle vague de migrants marocains : des libraires (comme Saad, Kettani ou Mohamed Hilal) et d’industriels, comme Mohamed Mekouar. Ce dernier, après avoir vécu 30 ans au Sénégal et bâti l’un des plus beaux fleurons de l’industrie textile sénégalaise (SOTIBA SIMPAFRIC) est devenu, en mars 1981, ambassadeur de sa majesté le roi Hassan II auprès du président Abdou Diouf. Poste qu’il a occupé jusqu’en 1985. Un parcours atypique qui résume, à lui seul, l’histoire intime entre le Sénégal et le Maroc.
Aujourd'hui, le poste d'ambassadeur du Maroc au Sénégal est occupé par un "Marocain de Saint-Louis", Talb Berrada dont la famille a vécu dans l'ancienne capitale du Sénégal avant l'indépendance.
A propos de cette relation, un journaliste sénégalais a eu cette inspiration : «C’est l’histoire d’une famille, avec les naissances, les morts, les succès, les revers». Bref, une histoire d’amour tout court.