Le chemin est "étroit" mais encore "praticable" et il promet "d'énormes bénéfices" en termes d'emploi, de croissance économique et de santé, plaide l'AIE qui publie mardi, à six mois de la COP26 de l'ONU, une feuille de route permettant d'atteindre la neutralité carbone en milieu de siècle.
"Il y a un fossé croissant entre la rhétorique (climatique) des gouvernements et des industriels, et la réalité", a souligné le directeur de l'AIE, Fatih Birol, relevant que cette feuille de route permettra à "chacun de comparer ce qui est fait et ce qui devrait l'être".
La "neutralité carbone", qui consiste à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le monde ne peut en absorber, implique de changer de paysage énergétique.
Et en particulier de renoncer à tout nouveau projet pétrolier ou gazier au-delà de ceux déjà engagés en 2021, note l'AIE: "la baisse rapide de la demande signifie qu'aucune exploration n'est requise et aucun champ gazier et pétrolier nouveau n'est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés".
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Pour le charbon, dont la consommation est repartie de plus belle après la pandémie, le monde doit déclarer la fin des décisions d'investissement de nouvelles centrales électriques.
Car le secteur électrique, lui, devra avoir atteint la neutralité carbone dès 2040. Ce qui impose d'installer d'ici à 2030 quatre fois plus de capacités solaires et éoliennes annuelles qu'en 2020, année record.
A l'arrivée, en 2050, l'Agence voit 90% d'électricité d'origine renouvelable, le reste venant du nucléaire. Les ressources fossiles ne fourniraient plus qu'un cinquième de l'énergie (contre 4/5 aujourd'hui), pour des usages comme les plastiques.
Les ventes de voitures thermique neuves devront elles cesser dès 2035.
L'efficacité énergétique devra croître de 4% par an dès cette décennie, trois fois plus que le rythme des deux dernières. "C'est, par exemple, rénover un bâtiment sur cinq", décrit Laura Cozzi, responsable modélisation à l'AIE.
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Objectif: une demande énergétique globale in fine réduite de 8% en 2050 par rapport à celle d'aujourd'hui, avec deux milliards d'humains de plus.
"L'ampleur et la rapidité des efforts requis par cet objectif critique et formidable - notre meilleure chance d'affronter le changement climatique et de limiter le réchauffement global à 1,5°C - en font peut-être le plus grand défi que l'humanité ait eu à relever," admet Fatih Birol.
Coup de couteau et défis
Les investissements dans l'énergie devront passer de 2.000 milliards de dollars annuels à 5.000 milliards d'ici à 2030. Cela ajoutera aussi 0,4 point de croissance par an au PIB mondial, note une analyse menée avec le FMI.
Les pétroliers semblent peu fléchir encore, malgré la pression d'actionnaires. Après avoir réduit d'un tiers leurs dépenses de production et exploration, ils devraient certes avoir du mal à retrouver leurs niveaux pré-pandémie (530 milliards de dollars), selon Rystad Energy.
Mais l'AIE a déjà mis en garde contre une très forte reprise de la demande, si rien n'est fait.
Mardi, les actionnaires du géant Royal Dutch Shell ont ainsi massivement voté mardi en faveur de sa stratégie climatique, vivement contestée par les ONG, qui ne prévoit aucun abandon des hydrocarbures.
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"Se retirer n'est pas une solution. Cela n'aiderait pas la société ni les actionnaires", a expliqué son patron Ben van Beurden, affirmant que si Shell arrêtait de produire, un concurrent prendrait sa place, puisque la demande serait toujours là.
Autre défi, en 2050, la moitié des réductions d'émissions de CO2 devra venir de technologies aujourd'hui encore balbutiantes, estime l'AIE, qui appelle à les promouvoir intensivement: batteries avancées, hydrogène vert aux applications variées, mais aussi capture et stockage du CO2 (CCS) - une solution très débattue par les experts climat, qui y voient une manière de maintenir des énergies émettrices de gaz à effet de serre.
Pour Dave Jones, du think tank Ember, spécialisé dans l'énergie, ce rapport est en tout cas "un revirement complet par rapport à l'AIE orientée fossiles d'il y a 5 ans": "un vrai couteau planté dans l'industrie des énergies fossiles".
Fatih Birol parle de "pragmatisme". Selon lui, "aucun gouvernement ne voudra avoir un système énergétique dépassé. Je suis certain que les Etats agiront pour soutenir l'économie de demain et signaleront clairement aux investisseurs que les options pour une énergie propre sont les garantes de retours lucratifs".