Mauritanie: République islamique et havre de paix pour homosexuels

Le 16/12/2016 à 17h05, mis à jour le 17/12/2016 à 03h16

La Mauritanie est le pays des paradoxes. Dans la "République islamique" où se développe l'extrémisme religieux, l'homosexualité est pourtant "tolérée" par la société. Les homosexuels font rarement l'objet de condamnation et, quand c'est le cas, les peines ne sont pas appliquées.

Rejetée par la société et punie par la loi pénale, l’homosexualité se confine dans des lieux clos, tentes et salons par exemple, mais les avis sont relativement partagés. Elle reste «tolérée» en dépit du développement rapide du phénomène extrémiste religieux, qui naturellement ne s’accommode pas de comportements qu'il juge déviants et que dicterait Satan.

Un mariage clandestin entre homosexuels sénégalais à Nouakchott, a défrayé la chronique et accaparé l’attention de la presse écrite et électronique, il y a quelques années. Du coup, une frange de l’opinion n’hésite pas à pointer du doigt «un silence complice» des milieux influents.

En fait, il existe clairement un contraste avec d'autres sociétés africaines au sein desquelles les homosexuels font régulièrement l’objet de multiples exactions dénoncées par les ONG. Cela même, dans les systèmes démocratiques à l’image du Sénégal voisin, plusieurs fois épinglé par les associations de défense des droits humains pour une attitude «homophobe».

Ainsi, au pays du poète président Léopold Sédar Senghor, le débat sur le phénomène est récurrent. Ce qui explique probablement le fait qu'il déborde parfois sur le terrain de la violence physique débouchant sur le lynchage public de présumés "goor-jigeen". La traduction littérale de cette expression en langue wolof renvoie l’image d’un individu pourvu des doubles attributs masculins et féminins.

En retour, ces associations de défense des droits humains sont souvent accusées par l’opinion sénégalaise d’exercer des pressions sur les pouvoirs publics pour pousser à la légalisation d’un phénomène unanimement honni par la société.

Une législation pénale implacable

En pratique, en Mauritanie, les homosexuels, vivent en paix, en vertu d'une certaine forme de «tolérance» aux antipodes de la législation pénale nationale. En effet, celle-ci est sans concession au sujet des relations entre individus de même sexe. L’article 308 du Code Pénal (CP), adopté en 1983, définit ce type de relations comme «un acte contre nature» et prévoit «la peine de mort par lapidation publique» pour punir cette infraction.

Un contexte judiciaire dans lequel le très inédit fait divers entre les deux homosexuels sénégalais n’a pourtant pas donné lieu à des poursuites. Du moins, quand bien même celles-ci auraient été enclenchées, leur épilogue n’a pas été commenté dans la presse et n'ont pas été portées à la connaissance du grand public.

Cependant, un avocat interrogé par le360 Afrique signale que des cas d’homosexualité ont parfois atterri sur la table du procureur de la République ou suscité des poursuites, voire ont donné lieu à des condamnations et à des peines de prison ferme. Mais celles-ci n’ont jamais connu d’exécution au plan pratique». Interpellée sur les raisons de cette situation, la toge donne sa langue au chat, préférant se cantonner au constat brut.

Fonction sociale des homosexuels

Sans être pourchassés, ni faire l’objet de violences en public, les homosexuels en Mauritanie sont totalement ignorés, mais plutôt marginalisés et quelquefois méprisés. Bien qu’issus d’un milieu à risques à cause du fort temps de prévalence comme partout dans le monde, ils sont totalement inconnus des structures chargées de la prise en charge des individus vivant avec le VIH/SIDA. Si le taux officiel de prévalence de cette maladie est de 0,7% au sein de la population globale, il pourrait atteindre des pics inquiétants dans ce groupe particulier. Une marginalisation tempérée par le rôle social de ces individus.

En effet, dans certaines circonstances, ces hommes au physique fortement efféminé, remplissent diverses fonctions sociales. MB, qui accepte de parler sous le couvert de l’anonymat affirme que «pendant les grandes cérémonies familles telles que le mariage et les autres regroupements de réjouissance, nous sommes préposés à la cuisine et les plats que nous préparons sont appréciés de tous. On se charge également du rythme créant l’ambiance cérémoniale en jouant du tambour». Ils sont ainsi considérés comme les meilleurs maîtres de cérémonie. 

Par ailleurs, entretenant de bonnes relations avec les belles dames issues des milieux les plus huppés, les homosexuels jouent souvent le rôle d’intermédiaires entre amoureux ou encore de "marieurs".

Entre législation pénale implacable, mépris sans manifestation physique ostentatoire et violente, et rôle social jamais formellement reconnu, le phénomène de l’homosexualité en Mauritanie a plusieurs visages qui renvoient à un traitement globalement ambivalent.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 16/12/2016 à 17h05, mis à jour le 17/12/2016 à 03h16