Portrait. Mohamed Ould Abdel Aziz, ou l’art de se faire des ennemis

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Le 14/08/2016 à 15h55, mis à jour le 14/08/2016 à 23h01

Après plus de 7 ans de pouvoir, le chef de l’Etat mauritanien, Ould Abdelaziz, semble avoir brûlé ses dernières cartouches. Ses promesses non tenues et son faible pour les manœuvres dilatoires se dressent désormais devant son dernier baroud, briguer un troisième mandat, interdit par la loi suprême.

En décembre prochain, Mohamed ould Abdelaziz bouclera ses 60 ans. Natif de Darou Mousty (non loin de Louga au Sénégal), il dit être né à Akjoujt, ville située à quelque 250 km au nord de Nouakchott. Ce que contestent même les Américains. Dans un câble de Wikileaks daté d’octobre 2011, Mark Boulware, ancien ambassadeur US à Nouakchott, après avoir qualifié Ould Abdelaziz d’«ignorant et de rude», s’interroge sur ses origines car selon lui la majorité des Mauritaniens estime qu’il est soit sénégalais, soit marocain. Ce que corrobore un site d’information local (Points Chauds), selon lequel il est bien établi en Mauritanie qu’Ould Abdelaziz «n'est pas un vrai Mauritanien, mais plutôt un Marocain ou un Sénégalais».

Dans un récent article publié sur la presse en ligne, un colonel à la retraite a affirmé qu’il est tout à fait ‘’normal que Ould Abdelaziz gère la Mauritanie de façon catastrophique, car il manque de patriotisme n’étant pas originaire du pays.’’

Il n’empêche qu’après des études primaires au Sénégal, pays dont il parle couramment le dialecte (Wolof), Ould Abdelaziz a débarqué pour la première fois en Mauritanie, au début des années 70. Après de petits boulots, dont celui de chauffeur et agent à la Direction du Budget, il réussit, par un miracle, qu’on n’est pas encore parvenu à percer, à intégrer l’Académie Royale de Meknès qui n’est en principe accessible qu’aux bacheliers.

La proximité présidentielle donne des appétits

En 1975, un certain Ely ould Mohamed Vall (ex-chef d’Etat mauritanien), encore jeune officier, intercède auprès d’un ami au sein de l’administration des Finances en vue du recrutement de son cousin, Mohamed Ould Abdelaziz. Ce dernier est admis comme simple agent à la direction du Budget. Moins d’un semestre plus tard, il est impliqué dans une malversation financière, et prend la fuite vers le Sénégal.

En 1977, son cousin Ely le rappelle à nouveau, cette fois-ci pour l’engager comme officier de l’armée, en lui procurant tous les documents l’habilitant à suivre cette formation. En 1980, il décroche le diplôme d’officier interarmes à l’Académie militaire royale de Meknès, après trois années d’études.

C’est au cours de cette formation militaire qu’il rencontrera son actuelle épouse, Tekeïber mint Melaïnine ould Nour, native de la capitale ismaélienne, et dont le père, d’origine mauritanienne, est consul du Maroc en Arabie Saoudite.

En 1981, il obtient un autre diplôme militaire en mécanique en Algérie après une année de formation. En 1984, il est encore lieutenant quand il fait son entrée à la présidence de la république comme… aide de camp de Maâwiya Ould Sid’Ahmed Taya, fraîchement promu chef de l’Etat mauritanien à la faveur d’un putsch contre Mohamed Khouna ould Haïdalla.

En 1993, le capitaine Ould Abdelaziz revient au Maroc pour une nouvelle formation de plusieurs mois à l’Ecole d’état-major de Kénitra. Il reprend rapidement du galon dès son retour en devenant le chef du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), une unité spéciale chargée de la sécurité du président et ayant pour mission d’éviter tout coup d’état contre Maâwiya.

La félonie comme marche vers le pouvoir

Le 3 août 2005, alors que Maâwiya est en Arabie Saoudite pour présenter ses condoléances suite au décès du roi Fahd, Ould Abdelaziz renverse l’homme qui lui a fait confiance, l’a promu colonel en 2004 et décoré d’une médaille de mérite la même année.

Principal auteur de ce putsch, le colonel félon, Mohamed Ould Abdelaziz, se camoufle en cédant le fauteuil présidentiel à l’autre homme à qui il doit sa carrière militaire, Ely Ould Mohamed Vall. 19 mois plus tard, Ely est acculé à son tour à remettre le pouvoir à un civil choisi et soutenu par Mohamed Ould Abdelaziz, sous prétexte que l’armée va revenir définitivement dans ses casernes. Or le nouveau président, dont le monde entier louait son «élection démocratique unique en son genre en Mauritanie» est renversé lui aussi après 17 mois de pouvoir par le serial-putschiste, devenu entre-temps le général Ould Abdelaziz.

Il démissionne alors de l’armée, crée un parti ex nihilo et se porte candidat à la présidentielle de 2009. Malgré une douzaine de candidats, dont tous les poids lourds de l’opposition, Ould Abdelaziz s’offre une victoire dès le premier tour. Lors de sa campagne, il avait ouvertement affirmé qu’il gagnera, même si les «Chinois votent» en faveur du leader historique de l’opposition, Ahmed ould Daddah, demi-frère du premier président mauritanien.

Un président cleptomane

Les premiers mois de règne du nouveau président, qui se proclamait président des démunis et ennemi juré des corrompus, furent marqués par le détournement d'un gros chèque de 50 millions de dollars, don de l’Arabie Saoudite à une ville de l’est mauritanien sinistrée par des inondations en 2007. Ould Abdelaziz dira plus tard que ce don a servi à équiper l’armée et les forces de sécurité pour mieux affronter le terrorisme ambiant au Sahel.

En 2013, des communications téléphoniques entre Mohamed ould Abdel Aziz et un Irakien installé à Accra sont diffusées en audio par plusieurs médias mauritaniens. Il s’agit d’une affaire de blanchiment d’argent, dans laquelle une future ministre de Ould Abdelaziz a servi d’intermédiaire.

Le président niera d’abord l’évidence, avant de reconnaître que c’était bien sa voix, mais que cette transaction douteuse remonte à 2006, année où il n’avait pas de responsabilité politique

En 2011, il est de nouveau impliqué dans un marché-troc, passé avec une société créée la même année. Cette dernière s’engage à construire le nouvel aéroport international de Nouakchott d’Oum Tounsy, inauguré en juin dernier. En contrepartie, cette société inconnue se verra octroyer des milliers d’hectares dans un quartier chic de Nouakchott et le foncier de l’ancien aéroport de la capitale. Sauf que l’adjudicataire, n'ayant pas les ressources financières pour exécuter ce travail, va lever des fonds, non pas auprès des banques, mais d’entreprises étatiques dont la SNIM qui lui a accordé un «prêt» de 15 milliards d’ouguiyas (40 millions d'euros), …

Toutes ces prévarications lui valurent des clashs permanents avec les journalistes, qui réussissent parfois à lui faire perdre ses nerfs face à des preuves incontestables de sa prévarication.

C'est ainsi qu'en 2015, il interrompit une conférence de presse retransmise en direct sur quatre chaînes de TV locales, à partir des jardins de la présidence, en ordonnant lui-même de couper l’image suite à une prise de bec avec un journaliste, connu pour être très critique à son égard.

Cet amour fou pour l’argent, Ould Abdelaziz l’a démontré en 2009, quand il fit venir Kaddafi à Nouakchott, et l’invita le lendemain à diriger une grande prière au stade olympique de Nouakchott, dans un pays où les imams sont plus nombreux que les poètes. L’humour mauritanien retiendra cette théâtralité sous le nom de «Salat Ettamâa» (Prière intéressée).

Après la chute et la mort de Kaddafi, son chef des renseignements, Senoussi se vit proposer un refuge en Mauritanie. Arrivé à Nouakchott, il sera placé en résidence surveillée et remis plus tard aux nouveaux maîtres de Tripoli contre 200 millions de dollars selon les parlementaires libyens qui divulgueront plus tard ce deal. Précisant que l’argent a été versé dans un compte appartenant à Ould Abdelaziz et non dans les caisses du Trésor mauritanien.

Un diplomate non avisé

Arrivé au pouvoir parallèlement à la montée en puissance des groupuscules terroristes algériens au Sahel, le GSPC et Al Qaïda au Maghreb islamique, le putschiste Ould Abdelaziz va profiter de l’aubaine pour se légitimer aux yeux des Occidentaux, comme un important allié antiterroriste au Sahel. Pour ses proches voisins -Sénégal, Maroc et Mali-, ce sont plutôt les bisbilles permanentes. ‘’Jamais la Mauritanie n’a eu une diplomatie aussi balbutiante que celle d’aujourd’hui. Tout le monde a encore en mémoire les prouesses de Mokhtar Ould Daddah et Hamdi Ould Mouknass qui avaient réussi à obtenir la rupture des relations diplomatiques entre la majorité des pays africains et Israël. La Mauritanie était devenue l’un des porte-drapeaux de la lutte contre l’Apartheid et elle entretenait des relations empreintes de respect avec tous ses voisins’’, fait remarquer ce journaliste mauritanien. Et qu’avons-nous aujourd’hui ? s’interroge-t-il : ‘’Un président qui n’en fait qu’à sa tête, gère le pays selon ses humeurs et n’a aucun tact. Même nos voisins avec lesquels nous lient l’Histoire, la Géographie, un passé et un avenir communs ne savent quoi faire devant de tels enfantillages.’’

Un ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, ayant servi sous Maawiya ould Taya (1984-2005) reconnaît aujourd’hui s’être complètement trompé, comme la majorité de ses compatriotes, sur Mohamed Ould Abdelaziz.

Dans une déclaration à Le360, il affirme que «lors de sa campagne électorale pour la présidentielle de 2009, Ould Abdelaziz s’est servi de l’image de feu Mokhtar ould Daddah» pour signifier aux Mauritaniens qu’il adoptera la bonne gouvernance du père de la nation et, sur le plan externe, il mettra aussi en œuvre sa politique de bon voisinage avec tous les pays frontaliers de la Mauritanie.

Ce diplomate ajoute ne pas comprendre l’absence aujourd’hui d’un ambassadeur mauritanien à Rabat depuis 2012, alors que l’actuel ambassadeur du Maroc à Nouakchott est le doyen du corps diplomatique établi en Mauritanie, et que «les relations diplomatiques sont régies par le principe sacro-saint de réciprocité», affirme-t-il.

Nostalgique, il raconte un épisode qu’il a vécu, alors qu’il venait juste d’intégrer le corps de la diplomatie mauritanienne. «Je me rappelle que le 2 mars 1974 était un samedi, soit un jour de repos hebdomadaire en Mauritanie. Ce jour là, Mokhtar Ould Daddah était entré, pour la première et dernière fois de sa vie, dans une colère noire. Il venait d’apprendre que l’ambassadeur de la Mauritanie à Rabat, Sidina Ould Cheikh Taleb Bouya, était en villégiature dans une localité située à une centaine de km au sud de Nouakchott. Mokhtar convoqua illico le ministre des Affaires étrangères de l’époque, feu Hamdi Ould Mouknass, et lui demanda de chercher et faire venir immédiatement l’ambassadeur à Nouakchott, tout en l’informant qu’un avion privé en provenance de Las Palmas a déjà été affrété pour ramener, le soir même, le diplomate à Rabat. Au cas où l’ambassadeur serait introuvable, Mokhtar suggéra à son ministre de prendre lui-même l’avion pour aller présenter les vœux de la Mauritanie à Hassan II à l’occasion de la fête du Trône du 3 mars 1974".

Une finesse diplomatique, dictée à l’époque par une stratégie bien établie, à savoir le déploiement de la diplomatie mauritanienne par «cercles concentriques», c’est-à-dire en donnant la priorité aux pays voisins (bilatéralisme), puis aux pays maghrébins et ouest-africains (sous-région immédiate de la Mauritanie), au monde arabo-afro-musulman, et ensuite aux non-alignés…

Et notre interlocuteur de juger, qu’avec tous ces résultats catastrophiques, Ould Abdelaziz ne pourra pas briguer un 3e mandat. «La constitution l'interdit, le peuple ne veut plus de lui et l’armée aussi s’y opposera le temps venu», conclut-il

Par Mohammed Ould Boah
Le 14/08/2016 à 15h55, mis à jour le 14/08/2016 à 23h01