Mauritanie: diversité et ferveur autour du Mawlid

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Le 12/12/2016 à 15h35, mis à jour le 12/12/2016 à 15h51

La Mauritanie a célébré officiellement la nuit d'«Al Mawlid an-nabi», marquant l'anniversaire de la naissance du Prophète de l’Islam, Mohammed, au cours de la nuit du dimanche 11 au lundi 12 décembre 2016. Mais la ferveur se trouve davantage du côté des populations noires de la vallée du fleuve.

Entre ruée vers le terroir, nuit de festin et lendemain de fête, en Mauritanie, Al Mawlid an-nabi revêt un cachet bien particulier, même s'il n'y pas unanimité dans la communauté musulmane de la République islamique. La soirée dédiée officiellement au Mawlid an-nabi n'est célébrée que par certaines communautés notamment les ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal et les Maures de l’Ouest (Ehel Qibla).

Organisés au sein d’associations villageoises à la vie desquelles participent -financièrement, surtout- les membres de la diaspora, les négro-africains originaire du Sud, se rendent massivement dans leurs localités d’origine pour des veillées de prières dédiées aux louanges à l’envoyé d’Allah.

Ainsi, grâce à de conséquentes ressources financières collectées à travers des contributions fixes et autres participations volontaires suivant la générosité et la fortune des contributeurs, les collectifs villageois organisent des caravanes vers les localités d’origine.

Une logistique bien huilée a été préparée la veille. Il a fallu louer des véhicules, du matériel de sonorisation et divers autres accessoires nécessaires à la réussite de la grande nuit. Ces caravanes sont organisées vers le Fouta par la quasi-totalité des villages dans ce qui est la plus grande ruée vers le Sud.

Tout s'organise à partir de Nouakchott

Pour la réussite du Mawlid, Nouakchott joue un rôle déterminant. C’est ici que s’organise le rassemblement dans plusieurs mosquées au niveau des communes de la capitale.

Ce vendredi 9 décembre, par exemple, l’imam Thierno Hamidou Ball, membre du Haut Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux, a tenu une longue réunion de concertation avec plusieurs dizaines de fidèles devant se rendre à la veillée prévue pour l’édition 2016 dans un lieu de culte de la Sebkha, banlieue au sud-ouest de Nouakchott.

A l’endroit indiqué, l’éminent érudit perpétue la tradition depuis plusieurs années. C’est à partir de 21h que les premiers fidèles arrivent sur les lieux de célébration du Mawlid, qui sont généralement des mosquées ou de vastes places publiques. Durant toute la nuit du dimanche au lundi, jusqu’à la prière du matin, les chants à la gloire du prophète sont entonnés, entrecoupés de récitations de versets coraniques et de prêches du marabout.

Par ailleurs, d’autres ressortissants de la vallée du fleuve, généralement issus de la communauté wolof, et même parfois peule, profitent de la célébration de cette nuit pour se rendre à Tivaouane (90 kilomètres à l’Est de Dakar) et passer la mémorable nuit au «Gamou» de l’un des fiefs de la Tariqa Tijaniya au niveau de la région.

Mouvement de part et d’autre du Fleuve Sénégal

Un mouvement identique est observé vers Kaolack (190 kilomètres au sud-est de Dakar) chez les Maures et les Peuls se rendant dans la zawya d’Ibrahima Niass. Au même moment, dans le sens inverse, de nombreux fidèles sénégalais de la «Qadriya» traversent le fleuve pour la localité mauritanienne de Nimzat.

Ce lundi 12 décembre, au lendemain de la grande veillée de prières et d’intense dévotion, ce sont les Maures de la région du Trarza (Ouest) qui prennent «le relai» pour marquer la naissance du Prophète.

On assiste alors à une véritable journée de fête comme le décrit Ahmed ould Mohamed, natif de la région, «nous portons nos plus beaux habits pour faire le tour des villes, villages et campements, afin de souhaiter bonne fête aux parents, amis et connaissances. Des animaux sont sacrifiés à l’image de la Tabaski et de la Korité».

Pour leur part, les communautés maures de l’Est (Assaba et les deux Hodh –régions de l’Est), mais aussi celles du nord de la Mauritanie, attendront une semaine pour célébrer la journée du baptême avec les mêmes festivités.

En plus de la dimension religieuse, les ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal, les différentes communautés de la Mauritanie donnent à la célébration du Mawlid un aspect pittoresque et coloré qui porte la marque du lieu et du temps, pour donner une belle symphonie.

Polémique

"Tous ces aspects réunis renvoient la belle image d’un islam ouvert et tolérant, aux antipodes de l’idéologie de violence et d’une vision importée de certaines contrées d’Arabie", souligne Ahmed Ould Mohamed. S’il évoque le sujet, c’est parce que le débat se pose depuis quelque temps. Certains critiquent la célébration de l’anniversaire de la naissance du Prophète.

Donnant le sens profond et la portée réelle de cet événement à «le360afrique» Cheikh Mahfoud, un spécialiste des sciences religieuses, relève qu’il s’agit «d’une innovation». La signification littérale de ce mot en Arabe est «bidaa».

Ainsi, cette fête n’a été célébrée pour la première fois que bien après la disparition de Mohammed. Cependant, il précise que «contrairement à ce que pensent et prétendent de nombreux profanes, l’innovation ne doit pas être systématiquement rejetée».Se référant à l’Imam Al- Bayhaqi, il ajoute «les innovations sont de deux sortes. Si ce qui est innové rentre en conflit avec le livre, la sunna, un rapport d’un compagnon ou un consensus, cette démarche relève d’un égarement. Si, en revanche, il s’agit d’une pratique nouvelle qui ne rentre pas en conflit avec la charia, c'est-à-dire la loi islamique et la jurisprudence, elle n’a rien de blâmable». Se regrouper pour rendre hommage à la plus sainte des créatures rentre alors dans le cadre des bonnes «innovations».

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 12/12/2016 à 15h35, mis à jour le 12/12/2016 à 15h51