A Donaye, un village mauritanien de la rive droite du fleuve Sénégal (côté mauritanien), les populations ont été expropriées de leurs terres.
Les terres arables du village ont été octroyées à de richissimes hommes d'affaires des cercles proches du pouvoir de l'ancien régime de ould Taya pour des aménagements agricoles. Y compris l'espace du cimetière. Du coup, les habitants du village, Négro-Mauritaniens et Haratines, n’ont même plus d'endroit pour enterrer leurs morts. Sur toute l’étendue de ce qui était jadis un cimetière, on bute ça et là sur des restes de pierres tombales que les machines des nouveaux propriétaires n’ont pas complètement détruites.
Dans cette localité mauritanienne, pour offrir une sépulture décente à leurs parents décédés, les villageois doivent traverser le fleuve en pirogue, et gagner la rive gauche pour se rendre en territoire sénégalais. C'est ce qui fait dire à Mokhtar Wane, le chef de village, avec un brin d'ironie: «à Donaye, les morts mauritaniens deviennent sénégalais».
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La particularité de Donaye est qu’aujourd’hui, un riche mauritanien a mis la main sur toutes les terres. «On n'a plus de cadre de vie à Donaye. Il a injustement mis la main sur toutes les terres que nous ont léguées nos ancêtres», remarque Amadou Moctar Wane, la voix cassante et feuilletant un ancien document qui témoigne de la véracité de ses propos.
L’Etat mauritanien prend le parti des hommes d’affaire maures.
Pour mieux cerner ce problème foncier dont souffrent les populations de Donaye, il faut remonter le temps. En 1990, un an après l’éclatement du conflit sénégalo-mauritanien, l’armée mauritanienne, ignorant leurs droits, avait déporté ces Négro-Mauritaniens sur l’autre rive du fleuve Sénégal.
«Obligés qu’on était par l’armée mauritanienne, il nous fallait quitter nos terre ancestrales pour nous réfugier au Sénégal», se souvient avec désespoir Amadou Moctar Wane. Vingt ans durant, plusieurs dizaines de Négro-Mauritaniens ont vécu cet exil forcé. Il a fallu attendre 2010, après l’accession du président Sidi ould Cheikh Abdallahi au pouvoir pour que le retour de ces déportés soit envisagé. Et c'est son successeur, l'actuel président qui organisera ce retour des déportés négro-mauritaniens.
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Toutefois, ce retour n'a pas été fait selon les règles, car rares sont les déportés qui ont pu retrouver les terres de leur village natal. Souvent, ils ont été recasés à des kilomètres de leurs anciens villages et de leurs terres arables, sources de toutes les convoitises. «A notre retour, toutes nos terres avaient été injustement accaparées par cet homme d’affaire de Chinguetti (centre de la Mauritanie) qui refuse de nous les restituer», affirme impuissant le chef de village. En accaparant nos terres, «l’objectif non avoué de l’Etat mauritanien est de nous chasser de manière définitive du pays de nos ancêtres», remarque-t-il. Raison pour laquelle de nombreux déportés ont refusé le retour au pays proposé par l'Etat et continuent de vivre au Sénégal en tant que réfugiés.
Conscient de la légitimité de la revendication des populations de la vallée, l’Etat avait sorti une loi domaniale en 1983 disposant que «la terre appartenait à ceux qui la travaillent, ou qui l’ont travaillée». Et que les terres appelées «terres mortes» revenaient à l’Etat, qui a le pouvoir de les répartir. Cependant, les autorités mènent souvent les procédures et les enquêtes administratives en faveur des riches Mauritaniens.
Partant, «l’Etat mauritanien a profité du conflit sénégalo-mauritanien de 1989 pour attribuer les terres que les déportés étaient contraints de quitter aux militaires et hommes d’affaire maures», a souligné Amadou Tijane Kane.
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Ce banquier à la retaite, ancien maire de Dar El-Barka tout près de Donaye, soutient les populations injustement expropriées de leurs terres. Selon lui, «la charia, la loi islamique qui sert de base en bonne partie à la loi suprême de la Mauritanie, prévoit que des témoignages dignes, confirmant que tel ou tel autre travaillait la terre, équivalent à un titre de propriété sur les terres qui se sont transmises suivant les générations». En Mauritanie, où la majorité des populations n’était pas instruite, «le fait que chacun puisse témoigner pour son voisin pouvait bien aider à régler les problèmes fonciers», a-t-il précisé.
De son côté, l’Etat balaie cette position d’un revers de main. Au cours d’une sortie, le président Mohamed Ould Abdel Aziz avait nié la «spoliation». Et pourtant cette affirmation du président mauritanien contredit ses propos de candidat aux élections présidentielles de 2009. Il avait promis de régler définitivement le problème foncier lié au règlement du «passif humanitaire», reconnaissant ainsi l'existence de ce problème. Toutefois, «ces promesses d’Ould Abdel Aziz qui avaient incité les populations du village de Diata à voter pour lui sont maintenant jetées aux oubliettes», affirme Abdou Limane, un ancien propriétaire, héritier de terres dont il a été injustement dépossédé.
Subir l’injustice malgré eux
«Nous avons redistribué les terres vides, non cultivées. On ne peut pas interdire aux populations du nord de la Mauritanie de pratiquer de l’agriculture au sud du pays», a argumenté ould Abdelaziz. Une déclaration qui a choqué les paysans négro-mauritaniens qui, à cause de leur impuissance économique, n’ont pas les moyens nécessaires pour efficacement exploiter leurs terres.
Cependant, le calvaire des anciens réfugiés négro-mauritaniens ne va pas trouver sa fin de sitôt. Dans son élan de "modernisation de l’agriculture en Mauritanie", l’Etat avait accordé 50.000 hectares de terre cultivable à une société saoudienne. Et la quasi-totalité de ces terres appartenaient aux villageois mauritaniens dont ceux de Dar el-Barka. Mais devant les contestations des populations concernés, l’Etat était obligé des revoir sa position. «Ce qui ne l’a pas empêché d’octroyer 3.000 hectares de terres à cette société saoudienne qui cache derrière elle des hommes d’affaires mauritaniens», dénonce Amadou Tijane Kane.