La Gambie, une anomalie géopolitique au sein du Sénégal

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Le 21/01/2017 à 11h56, mis à jour le 21/01/2017 à 14h06

La France et l’Angleterre sont séparées par leur langue respective, la mer de la Manche, mais aussi par leur histoire. En revanche, ce n’est pas le cas du Sénégal et de la Gambie que tout unit, un cas qui reste une séquelle persistante de la rivalité entre les deux puissances coloniales.

A cause de son enclavement dans le Sénégal, on ne saurait traverser la Gambie sans se poser la question de savoir pourquoi les puissances coloniales que sont la France et l’Angleterre ont laissé deux États que rien ne sépare si ce n'est qu’une frontière tracée sur une carte, par une main aujourd’hui étrangère. Comment des dirigeants comme Léopold Sédar Senghor et Daouda Diawara, les premiers chefs d’Etat sénégalais et gambien, ont reconduit les mêmes erreurs que la France et l’Angleterre en conservant la séparation des deux pays que tout unit ?

En effet la Gambie et le Sénégal constituent le même peuple qui est essentiellement composé de Wolofs, de Mandingues, de Peulhs et de Diolas. Ces deux pays sont unis par la langue, la culture, la religion..., enfin tout. La preuve, sous la menace d’une intervention imminente des forces armées de la CEDEAO en Gambie pour rétablir la légalité, les populations gambiennes se sont réfugiées chez leurs frères sénégalais qui les ont accueillis à bras ouverts.

A l’instar du Cameroun qui, sous la conduite de dirigeants avertis, a réussi à réunir les trois parties de son territoire colonisées par les Anglais, les Allemands et les Français, les chefs d’État de la Gambie et du Sénégal auraient gagné à réunir ces deux bouts de territoire.

Pourtant, le plus petit pays de l’Afrique continentale avec ses 11.000 kilomètres carrés n'a de frontières qu'avec son voisin sénégalais. Ce qui fait que la configuration géographique devait pousser les dirigeants à plus de clairvoyance géopolitique. Mais il n'en a rien été. 

Néanmoins, l'histoire du Sénégal et la Gambie n'a pas été un long fleuve tranquille. Et cela a commencé bien avant la colonisation, selon le docteur en éudes africaines, Thierno Soulèye Mbodj, qui l'affirmait déjà dans sa thèse en 1985. "Une Sénégambie unifiée et indivisible constitue depuis le XVlle siècle une vielle idée longtemps caressée par les Anglais puis par les Français pour remédier aux aberrations de leurs rivalités coloniales dans la partie ouest du continent africain", explique-t-il.

Mais "l' histoire en décidera autrement, puisque le traité de Versailles de 1783, cristallisera définitivement les possessions française sur le Sénégal et anglaise sur la Gambie, malgré les tentatives françaises de récupération sans issue du "paradis fiscal" ouest-africain, moyennant l'octroi des comptoirs du Gabon, de la Dembia, et de l'actuelle Côte d' Ivoire", poursuit-il.

La Gambie était déjà ressentie comme une anomalie géostratégique il y a quatre siècles, mais elle aura la vie dure. Puisque la fantaisie coloniale la plus déroutante du continent sera confirmée par "l'accord frontalier franco-anglais de 1889 qui fixera définitivement, après que la conférence de Berlin de 1884-1885 a achevé les travaux sur les tracés de frontières artificielles dans les empires coloniaux". 

Il a fallu qu'en novembre 1980, une rébellion se déclenche en Gambie pour qu'enfin le rêve longtemps caressé devienne une réalité. Senghor enverra les forces sénégalaises pour la première fois en terre gambienne dans le cadre d'une opération dénommée Fodé Kaba, en hommage au marabout mandingue Fodé Kaba Doumbia. Daouda Kairaba Jawara réussira ainsi à conserver son pouvoir, puisque tous les dissidents militaires sont arrêtés. Et au niveau civil, il en profitera pour restreindre les libertés et à interdire les partis politiques. Pour Senghor qui voyait déjà poindre le problème Casamançais avant le déclenchement officiel, c'était l'unique moyen de couper le mal par la racine. 

Prévoyant et se doutant qu'une telle chose pouvait se produire, le président sénégalais a émis l'idée de signer l'accord marquant la naissance de la Sénégambie. Mais, il faudra attendre son successeur, Abdou Diouf, pour la concrétisation dudit accord avec Jawara. Entre temps, Abdou Diouf avait envoyé les troupes sénégalaises en Gambie, une deuxième fois, quand Kukoï Samba Sayang, un fils de la Casamance ayant grandi en Gambie, est venu renverser Daouda Jawara dans la nuit du 29 au 30 juillet 1981. Mais, la Sénégambie ne tiendra pas très longtemps. Car dès 1989, la confédération est dissoute officiellement à cause de divergences timportantes entre les deux nations. 

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 21/01/2017 à 11h56, mis à jour le 21/01/2017 à 14h06