Sénégal. Maouloud: ferveur religieuse certes, mais jamais sans jeu politique

DR

Le 11/12/2016 à 12h48, mis à jour le 11/12/2016 à 13h13

Au Sénégal, le Maouloud, anniversaire de la naissance du prophète Mouhammad ou Gamou donne lieu à un pélerinage vers tous les grands foyers religieux, notamment par la communauté tidjane. L'organisation du deuxième événement religieux, en terme d’affluence après le Magal, est un sacré défi.

Ce vendredi 9 décembre, Abdou et Maty, deux employés d’une société parapublique à Dakar, se préparent pour le Gamou. Tous deux "tidianes" ou "tijani", l’un se réclame de Tivaouane, 90 km à l'est de Dakar, l’autre est «niassène», une branche de la tidjaniya dont le foyer est à Kaolack (centre du pays, à 192 km de Dakar). «Pour rien au monde, je ne souhaite rater la nuit du Maouloud à Médina Baye (Kaolack)», confie Maty. Abdou, pour sa part, va à Tivaouane, comme tous les ans, «mais juste pour faire la ziarra et revenir». Les deux se souhaitent mutuellement «bonne route et bon Gamou». A l’instar d’Abdou et Maty, des dizaines de milliers de Sénégalais vont se réunir, ce dimanche, dans les différents foyers religieux du pays.

Une multiplicité de foyers religieux

Contrairement au Magal, au Sénégal, la célébration de la nuit de la naissance du prophète Mouhammad (ou Gamou en wolof) se déroule dans plusieurs foyers religieux, y compris dans la capitale des Mourides, Touba. En effet, si Tivaouane est généralement considérée comme la capitale de la tidjaniya, compte tenu du rôle prépondérant de Mawdo Malick Sy, figure marquante de l’islam soufi sénégalais, d’autres villes comme Kaolack, Dakar, Thiès, Louga, Sokone ou Médina Gounass rassemblent les adeptes de la plus grande "tarikha" ou voie soufie d'Afrique de l'Ouest. 

Des érudits comme El Hadji Ibrahima Niass dit « Baye Niass », El Hadji Ahmadou Ndiéguène, Serigne Abass Sall, Thierno Seydou Nourou Tall, pour ne citer qu'eux, ont joué un grand rôle dans la propagation de la tidjaniya au Sénégal. Toutefois, El Hadji Omar Foutiyou Tall est considéré comme le précurseur de cette branche du soufisme dans la sous-région.

S’il ne bénéficie pas de la même affluence que le Magal, le Gamou est aussi célébré par la communauté mouride, à Touba et dans les autres foyers du mouridisme. Le cas de Médina Baye est assez particulier. En effet, cette branche de la tidjaniya compte des millions de disciples en Afrique de l’Ouest, notamment au Nigeria. Durant le Gamou, Médina Baye reçoit de nombreux disciples venus de ces pays.

Sens et origine de la célébration du Maouloud

Dans un entretien accordé au quotidien Le Soleil, Mouhammedou Abdoulaye Cissé, imam de la grande mosquée Ihsanne de Saint-Louis, explique que la célébration du Maouloud s’inscrit dans la sunna du Prophète (PSL). «Beaucoup d’individus pensent que la célébration du Maouloud est une affaire de la confrérie tidjane, mais c’est une pratique inspirée de la sunna qui interpelle tous les musulmans», soutient-il. C'est sans doute pour anticiper la polémique qu'il tient de tels propos. Car, il est avéré que le prophète Mohammed n'a jamais célébré l'anniversaire de sa naissance. De sorte que les Ibadou rahmane, association créée dans les années 1980 et proche du wahhabisme saoudien et comptant quelques milliers de membres, critique à longueur d'année cet évènement.

Mais l'imam Cissé de citer le Coran: «Certes, Allah et ses anges prient sur le Prophète; ô vous qui croyez priez sur lui et adressez lui vos salutations». Répliquant à ceux qui, dans ce qu’on peut appeler un débat doctrinal, pensent que le Gamou est une «bida'» c'est-à-dire une innovation, l’imam Cissé pense que "si le Gamou cherche à rapprocher les uns et les autres, une occasion pour affermir les liens, réciter le Coran, revisiter la vie du Prophète, partager des repas, cela ne peut relever que d’une belle innovation».

Une nuit de chants religieux

La célébration du Gamou consiste essentiellement en un récitation du Coran mais aussi en chants à la gloire du prophète Muhammad (PSL). A Tivaouane où on fête le Gamou depuis 1902, l’événement coïncide toujours avec la clôture du «bourd», un panégyrique sur le Prophète (PSL) de l’imam Boussayri, qui débute à l’apparition de la lune et dure dix jours.

Certaines figures ont durablement marqué les nuits du Gamou de Tivaouane. C’est le cas du chanteur feu El Hadji Mbaye Dondé (vidéo-ci-dessus) dont la voix a fini être identifiée au Gamou. Aujourd’hui, c’est son fils Doudou Kende Mbaye qui a pris le relai. Serigne Mansour Sy disparu en 2012 avait aussi, durant son khalifat, imprimé au Gamou un cachet particulier par son érudition, son éloquence et sa capacité à tenir en haleine son auditoire.

Abdou, un disciple tidjane, reste nostalgique de ces nuits mélodieuses. «Avant, la nuit du Gamou, c’était magique. On ne risquait pas de s’endormir. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on parle plus de politique que de la vie du Prophète (PSL) », regrette-t-il.

Tivaouane devient centre du pouvoir

Après Touba, Tivaouane est l’autre tremplin vers le pouvoir. Comme à l’occasion du Magal, les leaders politiques font le déplacement versTivaouane cette semaine pour la fameuse "ziarra" ou visite auprès du khalife général des tidjanes Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy «Al-Makhtoum». Il serait plus précis de dire auprès de son porte-parole, Serigne Abdou Aziz Sy dit «Junior». Etant donné que le khalife n’a effectué aucune apparition publique dans la ville sainte depuis qu’il a acquis ce titre, c’est Serigne Abdou Aziz Sy Al-Amine qui préside aussi bien les invocations que la cérémonie officielle du Gamou de Tivaouane.

Le président Macky Sall, qui considère les confréries comme un rempart contre l’extrémisme, a entrepris un important programme de modernisation des capitales religieuses du pays. A Tivaouane, il a construit une splendide résidence pour les hôtes et une salle de conférence ultra-moderne. Ce qui lui a valu les louages du porte-parole du khalife. Le pays «sera toujours avec Macky Sall», a-t-il laissé entendre. 

Mais avec la multiplicité des foyers et l’absence d’une figure consensuelle pour la tidjaniya, contrairement au mouridisme, le pouvoir est obligé de ménager tout le monde en envoyant une délégation ministérielle dans chaque foyer religieux durant le Gamou. Il y a un an, Médina Baye s’était publiquement plaint du «manque de considération» du pouvoir, regrettant que Macky Sall ne vienne pas en personne au Gamou de Kaolack. Cette année, le chef de l’Etat sénégalais va visiter plusieurs foyers religieux durant le Gamou. Après Tivaouane, où il a effectué hier la prière du vendredi, il est attendu samedi à Thiénéba (Thiès), avant de se rendre à Médina Baye aujourd'hui, dimanche. 

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 11/12/2016 à 12h48, mis à jour le 11/12/2016 à 13h13