Maintes fois reportée, en raison du désaccord entre les deux parties sur les tarifs du péage, le tronçon Diamniadio-Aéroport International Blaise Diagne (AIBD)-Sindia de l’autoroute à péage a finalement été inauguré hier par le président Macky Sall. Si ce tronçon de 36 km, ajouté aux 35 entre Dakar et Diamniadio, permet au Sénégal d’entrer «dans l’ère des autoroutes modernes» et constitue «un jalon» de plus dans la marche vers l’émergence, comme s’en est félicité le président sénégalais, certains usagers sont un peu dubitatifs, notamment à cause de la cherté des tarifs du péage.
Conscient de cette situation, Macky Sall avait mis son veto pour l’ouverture du tronçon, initialement prévue en août, pour signifier au concessionnaire, le français Eiffage, son désaccord sur la grille de tarifs proposée. La pression présidentielle a bien eu son effet.
L’automobiliste qui empruntera cet axe (de Dakar à Sindia) ne déboursera finalement «que» 1.600 FCFA au lieu des 2.400 FCFA initialement prévus. En d’autres termes, Eiffage a accepté de renoncer 800 FCFA sur le tarif qu’elle avait concocté. Le gouvernement a aussi négocié pour que le même tarif de 1.600 FCFA soit appliqué quand l’autoroute sera prolongée jusqu’à Mbour.
Macky Sall justifie cette renégociation des tarifs par une nécessité d’équité, de justice sociale et d’inclusion des populations à moindre revenu. «L’autoroute ne doit pas être perçue comme une voie réservée aux riches qui ont les moyens de payer des tarifs élevés, mais comme une voie ouverte à tous, par l’application de tarifs supportables pour les usagers et économiquement viable pour l’entreprise concessionnaire», dit-il. Ceci étant dit, les usagers vont supporter, en partie, le développement des infrastructures : «Soyons fiers de payer nous-mêmes le coût de notre progrès», dit Macky Sall.
Réalisée selon le schéma de Partenariat public-privé (PPP), la première partie de ce deuxième tronçon (Diamniadio-AIBD) a coûté au total 92,2 milliards de FCFA, dont 69,2 milliards de FCFA apportés par l’Etat du Sénégal et 23 milliards de FCFA par SENAC SA, la filiale d’Eiffage chargée de la gestion de l’autoroute concédée. L’autre partie du tronçon (AIBD-Sindia), d’un coût de 70 milliards de FCFA, a été cofinancée par Eximbank Chine et l’Etat du Sénégal.
Si l’on ignore encore quelle sera la rentabilité de ce deuxième tronçon (Diamniadio-AIBD-Sindia), on peut présumer qu’Eiffage ne va rien perdre au change. D’après les chiffres communiqués par SENAC SA, le niveau du trafic sur le tronçon Dakar-Diamniadio avait atteint, en avril 2014, «55.00 transactions par jour, équivalant à 44.000 voitures pour un gain de temps moyen d'une heure et demi, compte non tenu du millier d'emplois créés et des 200 millions de FCFA mensuels versés à l'Etat par la SENAC SA», avait révélé, Didier Payerne, directeur opérationnel de SENAC SA.
Ce dernier d’ajouter : «Comme une voiture peut payer plusieurs fois, on raisonne en termes de transactions. Pour ce mois-ci (avril 2014), on est à 55.000 transactions par jour. Ce qui est un bon chiffre et représente 44.000 véhicules réellement car, comme certaines voitures peuvent payer plus de deux fois, il y a plus de transactions que de véhicules». Sur ce lot, «20% de nos transactions se font par abonnement Rapido», ajoute t-il.
Un gain de 644 millions d’euros pour un investissement de 40 millions d’euros
Si on rapporte ces revenus journaliers à la durée de la concession (30 ans), rien que sur le tronçon Dakar-Diamniadio, Eiffage va encaisser 422 milliards de FCFA (plus de 644 millions d’euros) alors que l’entreprise n’a contribué à la réalisation du projet qu’à hauteur de … 61 milliards de FCFA (un peu moins de 40 millions d’euros), contre 320 milliards de FCFA pour l’Etat du Sénégal. D’après certains experts, la compagnie française aura un retour sur investissement de moins de 10 ans, alors que l’Etat du Sénégal ne récoltera qu’environ 72 milliards de FCFA sous forme de TVA durant cette période.
Bien sûr, comme le prévoit le cahier des charges, le concessionnaire va supporter tout ce qui est entretien ainsi que la maintenance, la rémunération du personnel, mais c’est quand même une sacrée marge.
C’est pourquoi beaucoup de Sénégalais n’hésitent pas à parler de contrat léonin ou de «concession à la coloniale» à propos de cette autoroute. L’ambassadeur de France à Dakar, Christophe Bigot, ne croyait pas si bien dire en déclarant, hier, lors de l’inauguration du second tronçon : «C’est une infrastructure emblématique dans les relations entre nos deux pays (la France et le Sénégal)».
Et c’est conscient de cette situation que Macky Sall (qui n’était pas encore élu quand le contrat a été signé) a tapé du poing sur la table pour obtenir des tarifs «plus supportables» pour le second tronçon.