Sénégal: M2M conteste un marché attribué à Gemalto

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Le 02/11/2016 à 12h51, mis à jour le 02/11/2016 à 14h31

C’est un marché de plus de 13 millions d’euros (9 milliards de FCFA) qui connaît beaucoup de rebondissements. Le marocain M2M Group est sur le coup, mais la mésentente entre les deux entités de régulation complique le dossier d'attribution de ce marché.

C’est un marché d’environ 9 milliards de Fcfa, soit 13 millions d’euros, d'investissement mais susceptible d'en rapporter quelque 60 millions de dollars, environ 594 dirhams marocains, qui est en jeu. Du coup, le groupe marocain M2M s'étripe avec le français Gemalto. L'Agence sénégalaise de régulation des marchés publics (ARPM), quant à elle, se pose en arbitre. 

Initialement accordé au groupement Gemalto/Face Technologie, le marché a fait l'objet de constestation de la part de l'autre consortium composé de M2M Group et Selp-Tiger It. Il s'agit d'une part de la production et la gestion des permis de conduire biométriques sécurisés et d'autre part de la production et la pose de plaques d’immatriculation sécurisées pour une période de 10 ans. L'autorité contractante n'est autre que le ministère sénégalais des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement. Cependant, en matière de marchés publics au Sénégal, rien n'est jamais gagné d'avance. Une fois attribué par l'autorité contractante, l'ARMP se pose en juge en cas de contestation. Cependant, il y a un autre acteur qui peut intervenir a priori. Il s'agit de la Direction centrale des marchés publics qui est censée défendre, pour sa part les intérêts du Trésor public et du gouvernement en général au moment de l'attribution, mais également pendant l'exécution du marché. Il se trouve que l'ensemble de ces acteurs ont eu leur mot à dire. 

M2M moins disant pour le renouvellement

Pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce marché, un bref rappel des faits est nécessaire. M2M avait soumis un investissement de 9,4 millions d’euros, soit 7,27 milliards de Fcfa. Dans son offre, le fameux permis de conduire ou titre de transport est soumis au paiement de 12,9 euros ou 10.000 Fcfa, la pose d'une plaque d’immatriculation au versement de 15,5 euros, soit 12.000 Fcfa pour les véhicules automobiles et 7,75 euros, soit 6000 Fcfa pour les deux roues. Néanmoins, dans le but d'alléger cette charge en début d'exécution du contrat, M2M a consenti un dégressif de 25% les deux premières années, puis de 20% la troisième. Les 7 dernières années, la réduction atteint 5%. Un calcul moyen montre qu'il s'agit d'un taux dégressif de 10,5% sur 10 ans. Mais ce raisonnement ne tient pas compte du fait que durant les trois premières années, tout le stock de plaques d'immatriculation et de permis de conduire doit être renouvelé. De sorte que, pour les Sénégalais qui possède déjà leur permis de conduire ou un véhicule, la formule de M2M est très intéressante, en tout cas, beaucoup plus attrayante que celle de Gemalto. 

En effet, Gemalto avait, lui, proposé un investissement total de 9,28 milliards de FCFA et une redevance opérationnelle tenant compte d'un taux dégressif de 16% sur toute la durée du contrat. Sauf que le stock de permis de conduire et de plaques d'immatriculation sera changé avec une simple réduction de 16% contre 20 à 25% pour la société marocaine. Cela fait une très grande différence pour les automobilistes sénégalais. Cela pour la contestation financière de M2M.

L'autre problème que pose cette attribution à Gemalto, c'est que le français n'avait pas respecté les termes du marché. En effet, il n'a pas soumis d'échantillons ni pour les permis ni pour les plaques. "Comment, dans ce cas sera-t-il possible au ministère des Transports d'effectuer des tests sur la qualité que Gemalto s'engage à fournir", s'interrogeaient les 19 concurrents dont 18 avaient été écartés dès la présélection. 

Après avoir examiné les arguments du ministère des Transports et de M2M, l'ARMP avait estimé qu’il "n’y avait pas lieu de rejeter l’offre du groupement Gemalto/Face Technologies", tout en admettant que les manquements soulevés par M2M, à savoir la non production d’échantillons par l’attributaire provisoire, constituaient un non respect de la réglementation. L’autorité de régulation, dans sa décision du 24 août 2016, avait jugé ces manquements «non substantiels» pour motiver l’exclusion de Gemalto de la procédure. Mais elle avait annulé l’attribution provisoire de la concession et ordonné la reprise de l’évaluation financière.

Rebondissements

Toutefois, selon le quotidien «EnQuête», l’ARMP avait fini par attribuer le marché à Gemalto, en y apportant quelques correctifs. Seulement, ajoute le journal, quand le procès verbal d’attribution a été envoyé à la Direction centrale des marchés publics, (DCMP) qui veille sur les intérêts du ministère des Finances, pour avis, celle-ci s’y est opposée, estimant que la réévaluation s’est faite «suivant des critères inéquitables».

Néanmoins, les décisions de la DCMP ne sont pas publiques, contrairement à celles de l’ARMP. Le360 Afrique a néanmoins contacté un spécialiste des marchés publics pour comprendre comment une telle cacophonie a pu se produire. Ayant travaillé à la DCMP pendant plusieurs années, il a expliqué, sous le couvert de l’anonymat, qu’il peut arriver que les deux entités (l’ARMP et la DCMP) qui chapeautent les marchés publics, l’un a priori, l’autre a posteriori, ne parlent pas le même langage sur un dossier.

D’après cet interlocuteur, les registres d’appréciation des deux structures ne sont pas les mêmes. Même si, la plupart du temps, la DCMP entérine les décisions de l’ARMP. «La DCMP voit la réglementation de façon très stricte (du point de vue juridique), alors que l’ARMP, en tant que régulateur, veut souvent éviter un blocage du système ; ce qui l’amène à être plus flexible», explique le même expert.

Toutefois, cette source estime qu’il serait contradictoire que la DCMP, après avoir donné son feu vert à l’ARMP (une première fois), condition préalable à l’attribution provisoire du marché, revienne pour s’opposer à la décision du CRD.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 02/11/2016 à 12h51, mis à jour le 02/11/2016 à 14h31