Sénégal: l'inquiétant phénomène des trentenaires toujours à la charge de leurs parents

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Le 16/01/2017 à 19h22, mis à jour le 16/01/2017 à 20h53

A cause d'un marché du travail peu favorable, beaucoup de jeunes Sénégalais sont à la recherche de leur premier emploi, la trentaine bien entamée. Dans une société où les jeunes seraient censés prendre rapidement la relève de leur parents, le phénomène est assez inquiétant.

Mansour N., 34 ans, est diplômé en droit dans des affaires de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Depuis un an et demi, il est en "stage" dans une société fudiciaire où il se rend régulièrement comme tous les autres employés. Comme ses "collègues", il fait du conseil et accompagne les entreprises dans leur phase de création ou pour leur choix d'optimisation fiscale. Sauf que lui ne perçoit pas de salaire. "A la fin du mois, je reçois 75.000 Fcfa [120 euros, NDLR]", affirme-t-il. C'est à peine de quoi lui assurer le transport entre les Parcelles Assainies où il réside et le centre ville de Dakar ou se trouve le cabinet conseil qui l'emploie comme stagiaire. 

Des cas similaires, Dakar et les autres villes en comptent des milliers. "Les entreprises hésitent beaucoup à offrir aux jeunes diplômés leur première chance, du coup elles ne proposent que des stages qui durent souvent trop longtemps", explique Thierno Ahmadou Diop, Directeur des ressources humaines d'une grande entreprise agro-alimentaire de la place. Les diplômés mettent très longtemps à décrocher leur premier contrat à durée indéterminée. Et le constat est encore pire chez les personnes sans diplômes. 

De plus, les études s'allongent. Là où dans les années 1970-80 les enseignants et certains agents de l'administration n'avaient besoin que d'un Brevet de fin d'étude moyen (BFEM) obtenu à la sortie du collège, aujourd'hui pratiquement tous les jeunes attendent d'entrer à l'université voire d'en sortir pour chercher leur premier emploi. Et quelquefois, c'est pour revenir postuler dans des emplois où leur diplôme universitaire n'est même pas requis. Moustapha Diop, 29 ans, est dans ce cas de figure. Ayant décroché sa licence en géographie, il a participé au concours d'accès à l'Ecole de formation des instituteurs pour laquelle le niveau baccalauréat n'est même pas requis. 

Quoi qu'il en soit, le constat lié au chômage est confirmé par les données récentes. En augmentation constante, le chômage atteint un taux de 15,7% de la population active. Dans son rapport 2016, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) tire la sonnette d’alarme. Les personnes non diplômées, les femmes et les citadins sont plus touchés par ce phénomène. Malgré les propos du ministre de la Jeunesse, de l'emploi et de la construction citoyenne, Mame Mbaye Niang qui rassure quant à l’avenir prometteur de l’emploi au Sénégal, la réalité parait préoccupante.

Le président du Conseil national des dirigeants d'entreprises du Sénégal (Cndes), Birane Yaya Wane, l’attire l’attention sur la difficulté des employeurs à créer de nouveaux postes.

Chez les personnes âgées de 15 ans et plus, le chômage est de 15,3%. Les femmes sont les plus affectées avec un taux de 22,6% tandis que chez les hommes, il est de seulement 9,8%. Les milieux urbains avec leur forte concentration démographique due en partie à l’exode rural, sont plus touchés que la zone rurale avec les chiffres respectifs de 19,7% et 12,3%. Dakar la capitale sénégalaise n’est pas épargnée par le phénomène. Le chômage a atteint les taux de 16,7% et chez les personnes non diplômées, on enregistre un taux de 39,9%.

Aujourd'hui, le constat est que beaucoup de jeunes trentenaires restent à la charge de leur parents. Ils sont nombreux à vivre encore au domicile familial, passé l'âge de 30 ans. Dans une société où les enfants sont habitués à prendre la relève de leurs parents, assurant presque leur retraite, ce changement est très mal vécu. Pour s'en sortir, beaucoup de jeunes essaient de lancer leur propre affaire. C'est le cas d'Ousmane Mbaye qui se dit entrepreneur. "Je cherche des marchés de construction grâce à mes nombreux contacts, notamment auprès des départements de l'éducation pour la construction de salles de classes dans les villages", explique-t-il. Mais en réalité, ce n'est pas lui qui assure la construction puisqu'au final, il se contente de "sous-traiter" auprès de vrais entrepreneurs moyennant une commission. 

Au cours de l’une de ses sorties médiatiques, le ministre de la Jeunesse, de l’emploi et de la construction citoyenne, Mame Mbaye Niang a soutenu que l’Etat sénégalais était un champion en matière de création d’emplois. « Il y a 234 960 emplois directs créés entre janvier 2012 et décembre 2015. L’année 2016 fut une année au cours de laquelle beaucoup de projets ont démarré et de grand projets. Donc je suis convaincu que les chiffres de 2016 vont dépasser la moyenne des trois dernières années qui était de 56 mille emplois par an», s’était-il défendu. «Nous tablons sur 60 milles emplois. Ce qui emmènerait ce chiffre de 234 mille emplois à 300 mille emplois fin 2016», avait-il poursuivi. Avant de terminer par soutenir que «l’enjeu n’était plus les 500 mille emplois, nous allons les dépasser».

Ce qui ne se traduit pas dans les faits selon Birane Yaya Wane, le président du Conseil National des dirigeants d'entreprises de Sénégal (Cndes). Le chef d’entreprise a apporté un démenti au ministre Mame Mbaye Niang. «Je n'ai nul besoin de le mettre au défi dans la mesure où il n'a jamais été employeur. Donc, il ne sait pas, a priori, comment on crée un emploi durable avec contrat à durée indéterminée. Mais qu'il sache que, par les temps qui courent, aucun chef d'entreprise sérieux ne va s'aventurer à créer un emploi si ses affaires ne marchent pas très bien, ou avant de ressentir le besoin de procéder à un recrutement».

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 16/01/2017 à 19h22, mis à jour le 16/01/2017 à 20h53