Au Sénégal, Bocar Samba Diéye et Moustapha Tall ne se présentent plus. Il s'agit de riches opérateurs économiques qui ont fait fortune grâce au riz importé. Ils ont vécu de cette rente pendant des décennies à l'instar de quelques hommes d'affaires qui se sont lancés dans le même business.
Ils ont su gérer ce lucratif marché de l'importation du riz à leur avantage pendant près de 40 ans. Mais c’était sans compter avec la politique de développement des produits locaux initiée par le Sénégal depuis quelques années. L'actuel gouvernement ne veut plus qu'aucun grain de riz ne soit importé au Sénégal à partir de 2018.
Le début de la fin
Le gouvernement sénégalais qui encourage la consommation du riz local, y met désormais les moyens. Les producteurs sont subventionnés, plusieurs d’entre eux ont reçu des parcelles aménagées sur les rives du fleuve Sénégal ou situées en Casamance et aucune contribution financière n'est exigée d'eux. S'ajoute à cela une large campagne de communication autour du riz «Produit du Sénégal». En outre, le riz importé est surtaxé, permettant au riz local d'être vendu bien moins cher.
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Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir chez les grands importateurs qui vivaient jusque là d'une rente confortable. Bocar Samba Diéye, l’un d’entre eux, risque aujourd’hui de perdre son immense hangar situé à la Sodida. Un bien qu’il aurait mis sous hypothèque. L’importateur de riz est aujourd’hui menacé de saisie par la filiale d'Attijariwafa bank, à savoir la CBAO qui lui réclame la somme de 7 milliards de francs CFA, soit 10,5 millions d'euros.
Bocar Samba Diéye qui nie tout en bloc, estime ne rien devoir a la dite banque. Il déclare avoir soldé le prêt qui équivalait à 5,6 milliards de francs CFA, depuis le 31 mai 2008. Pour conserver son bien, il a fait appel à la justice.
Pour l'importateur, la justice devrait plutôt s’intéresser aux 5,650 milliards Fcfa que lui doit la Cbao. «Quand on vendait la Banque Sénégalo-Tunisienne (BST), je possédais plus de 13.000 actions. On l’a vendue sans que je ne le sache. On ne m’a pas convoqué à l'assemblée générale», s’était défendu Bocar Samba Diéye qui semble déterminé à ne pas se laisser «enterrer vivant».
Un peu avant lui, l’autre grand nom de l’importation de riz au Sénégal Moustapha Tall n’a eu aucune honte à déclarer être en faillite devant le président Macky Sall. C'était le 14 juin 2015 lors du Conseil présidentiel sur l’investissement. Ce jour là en prenant la parole, Moustapha Tall a tout simplement expliqué qu’une banque l’avait mis à genoux et qu’il sollicitait l’intervention de Macky Sall. L’homme d’affaires faisait allusion au contentieux qui l’oppose à la Société générale de banques au Sénégal. Moustapha Tall a toujours été un client des plus fidèles de la SGBS. Jusqu’à ce qu’il s’empêtre dans des problèmes.
L’urgence d'une reconversion en producteur
Ces grands importateurs sont aujourd’hui dans l’obligation de s’adapter pour ne pas disparaître. Le programme autosuffisance en riz qui n’a pas été atteint en 2017 leur donne un peu plus de temps de se reconvertir en producteurs, s’ils ne veulent pas quitter la filière riz.
Le Sénégal qui dépend encore de l’importation, pourra économiser, annuellement plusieurs centaines de milions d'euros. Mais pour le moment, on est encore loin du compte, même si le pays a fait un pas de géant.
Hier, mardi 21 février 2017, le Premier Ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, a présidé, une réunion interministérielle consacrée à la commercialisation du riz local. "Cette rencontre a regroupé, autour du gouvernement, tous les acteurs du secteur, notamment les rizicultureurs, les producteurs, les partenaires financiers, des commerçants et des associations de consommateurs", affirme-t-on auprès de son cabinet.
Le Premier ministre a "salué les bonnes performances enregistrées par le Programme national d’autosuffisance en riz (PNAR) qui, entre 2014 et 2016, a fait passer la production nationale de riz de 559.021 tonnes à 950.779 tonnes, soit une augmentation de l’ordre de 41% en deux ans".
Sauf que cela n'a pas encore permis de réduire de manière conséquente les importations. En effet, "les importations ont chuté entre 2015 et 2016, de 989.549 tonnes à 891.068 tonnes, soit une baisse 98.481 tonnes en valeur absolue et 11% en valeur relative".
De 2015 à 2016, les surfaces cultivées sont passées de 130.377 à 136.777 hectares, selon la Société d'aménagement et d'exploitation du Delta du fleuve Sénégal (SAED). Environ, 176 milliards de francs CFA ont été investis en 2016. Cette campagne a permis de produire 745.000 tonnes de riz.
Au vu des avancées réalisées ces dernières années, 2018 sera, selon les autorités, l’année de la rupture définitive avec l’importation de riz.