Sénégal. Un tropisme dakarois qui freine le développement du pays

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Le 27/09/2017 à 11h36

Un autre port sera construit dans la région de Dakar. Il s'agit d'une énième occasion ratée de développer l'intérieur du pays. La suspension temporaire du stade LSS de Dakar qui avait amené le Sénégal à jouer ses "matchs à domicile" au Maroc n'a pas servi de leçon. Tout est concentré à Dakar.

Au Sénégal, c'est un fait, tout est centralisé à Dakar qui fait office de capitale administrative et d'unique véritable centre économique. C'est dans l'ancienne capitale de l'Afrique-Occidentale française (AOF) que se trouvent tous les ministères et services centraux du pays. Pour se rendre à l'étranger, Dakar est encore un passage obligé et pour importer la moindre marchandise, il faut compter sur le port de Dakar. Même chose en matière de soins et d'éducation. Dakar regroupe les seuls hôpitaux bien équipés du pays et la plupart des écoles supérieures. Jusqu'au début des années 2000, Dakar et Saint-Louis, l'ancienne capitale du Sénégal, les deux seules villes comptant plus de deux lycées. 

Avant hier, lundi 25 septembre 2017, la présidence de la République a annoncé la construction d'un nouveau port, dans la région de Dakar censée accueillir aussi la nouvelle ville de Diamniadio avec son grand centre de conférence et son urbanisme futuriste. 

Politique passéiste pour un "Port du futur"

Cette nouvelle infrastructure de Dakar-Bargny, baptisée ironiquement "Port du futur" est le symbole d'un "dakaro-centrisme" hérité du passé. Il s'agit d'une cécité politique lourde de conséquences, sur le plan de la démographie de tout le Sénégal: les régions de l'intérieur du pays se vident de leurs populations, alors que Dakar ploie sous le poids de l'exode rural.

Officiellement, les statistiques estiment à 3,2 millions d'habitants la population dakaroise, soit plus d'un Sénégalais sur cinq. Mais dans les faits, vu que toutes les infrastructures sont concentrées dans cette région, il faut compter au moins un million de résidents temporaires supplémentaires, venus pour se soigner, pour rendre visite à un proche, pour y faire du tourisme ou en transit avant de se rendre à l'étranger.

Démographie incontrôlable

Au final, à cause de cette absence de vision pour les autres régions du pays, toutes les prévisions des urbanistes sont bouleversées. Aussi, voit-on souvent la métropole dakaroise subir des coupures d'électricité et des pénuries d'eau. Au mois de juillet, c'est Diéry Bâ, le directeur de la distribution de la Sénégalaise des eaux, qui avouait l'incapacité de sa société à produire suffisamment d'eau potable pour la capitale. Le déficit, disait-il, correspond à la consommation quotidienne d'une population de 700.000 habitants, soit l'équivalent d'une ville comme Tanger au nord du Maroc, ou de Mbour et Thiès au Sénégal. 

Ce manque de vision pour l'intérieur du pays se reflète également dans le domaine sportif. Plusieurs événements en apportent la preuve, notamment le dernier Afrobasket 2017 qui s'est déroulé en partie à Dakar. En partie seulement avec la moitié des matchs de la phase de groupe, le reste s'étant joué en Tunisie, parce qu'au Sénégal il n'y a qu'un seul complexe capable d'accueillir une pareille compétition. Il s'agit du stadium Marius Ndiaye qui est d'ailleurs dans un piteux état. Un complexe est prévu à Saint-Louis, mais il tarde à voir le jour.

Aucune infrastructure sportive hors de Dakar

Pire encore, en 2012, lors des qualifications de la Coupe d'Afrique des nations 2013, le stade Léopold Sédar Senghor a été suspendu pour une durée d'une année par la Confédération africaine de football (CAF) à cause d'un incident survenu lors du match aller contre la Côte d'Ivoire. Or, aucune autre infrastructure sportive dans le pays ne répondait aux normes de la FIFA. Résultat: le Sénégal a joué ses matchs de qualification en Coupe du monde 2014 prévue au Brésil à Marrakech et Casablanca, notamment contre la Côte d'Ivoire. Malgré un fervent soutien du public marocain, le Sénégal n'a pu terminer qu'avec un score nul, ce qui était synonyme d'élimination. 

Un autre détail, et non des moindres, illustre bien cette attention excessive que portent les dirigeants du pays à Dakar: Beaucoup de maires de villes de l'intérieur du pays ont une résidence officielle à Dakar et ne passent que quelques rares nuits dans la localité qu'ils sont supposés diriger. Certains le justifient par le prétexte peu convainquant qu'ils sont à la fois maires et ministres, d'autres disent qu'ils cumulent leur mandat avec celui de député, d'autres encore expliquent que leur moelleux fauteuil de président de conseil d'administration les retient dans la capitale. Nombreux sont ceux qui ne cachent plus résider officiellement à Dakar pour convenance personnelle. Il s'agit d'une situation ubuesque qui ne se rencontre pas qu'au Sénégal. 

Dakar n'est malheureusement pas la seule capitale africaine à souffrir de ce tropisme. Beaucoup d'autres pays souffrent du même phénomène. Pratiquement aucun colloque international, aucune manifestation d'envergure continentale ne se déroule ailleurs que dans les capitales en Afrique subsaharienne. Seule une petite poignée de pays fait exception en Afrique du Nord à laquelle s'ajoutent l'Afrique du Sud et le Nigeria. 

Parmi les facteurs qui freinent le développement des pays africains, l'absence de vision pour les autres régions que la capitale est l'une des plus handicapantes. Elle rend impossible l'exploitation des ressources du secteur primaire, freine l'industrialisation et le développement du secteur des services. Ce sont autant de raisons qui font que ce "Port du futur" de Bargny aurait dû être tourné vers un avenir différent de celui envisagé et conçu depuis des années par les gouvernements successifs.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 27/09/2017 à 11h36