Sénégal. Dérive autoritaire: après l'opposition, la presse doit être muselée

Sentv et Walfadjri : deux chaines de télévision considérées comme rebelles par le pouvoir en place.

Sentv et Walfadjri : deux chaines de télévision considérées comme rebelles par le pouvoir en place.. DR/

Le 18/03/2017 à 08h47, mis à jour le 18/03/2017 à 09h34

Au Sénégal, le pouvoir de Macky Sall s'est fixé comme objectif de museler les adversaires trop gênants. Après l’arrestation de Bamba Fall, la condamnation de Barthelémy Diaz et l’incarcération de Khalifa Sall, c'est autour des médias proches de l'opposition d'être sommés de se taire.

Après la réunion de l’opposition chez lui, le samedi 11 mars 2017, et sa sortie dénonçant «l’accusation et l’acharnement» dont est victime Khalifa Sall, le président du groupe «Wal Fadjri» a reçu une sommation du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), qui lui reproche une propagande et des «attaques outrancières» à l’encontre de Macky Sall, le président sénégalais et Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale.

«L’analyse faite de la vie politique du pays a débouché sur des attaque outrancières à l’encontre de personnalités qui incarnent des institutions de la République, particulièrement le président de la République et le président de l’Assemblée nationale». Et pour se donner bonne conscience, le CNRA s’appuie sur l’article 9 de la loi 2006-04 du 04 janvier 2006. Selon lui, cet article oblige «les titulaires d’autorisation de diffusion de programmes audiovisuels, dans le traitement de l’information, à respecter les règles d’éthique et de déontologie dans la programmation des différents médias et les institutions de la république».

Et, comme par hasard, après cette sortie du CNRA, c’est au tour du gouvernement, par l’intermédiaire de l’Agence nationale de régulation de L’audiovisuel et de la poste (ARTP) d’entrer dans la dance, le 13 mars 2017, pour réclamer à Sidy Lamine Niasse et à son groupe 500 millions de francs CFA (plus de 751 000 euros), et par la suite, brouiller le signal du groupe Walfadjri le 15 mars 2017. «Sidy Lamine Niasse doit à l’Etat 500 millions de francs CFA», disait Yakham Mbaye, ministre de la communication, qui se trouve être le porte-parole du gouvernement.

Sidy Lamine Niasse, la nouvelle cible

Dans l’optique de booster son entreprise, Sidy Lamine Niasse comptait homologuer un concordat avec l’Etat du Sénégal. Mais, furieux contre le groupe Walfadjiri et son président, le gouvernement n’entendait soutenir, semble-t-il, un média qui pourrait servir de plateau de contestation à l’opposition.

Ainsi, décidé à lui chercher des noises, l’Etat sort des factures couvrant la période 2012-2015 et qui n’ont jamais été notifiées à Sidy Lamine Niasse. Sur lesquelles factures, le pouvoir lui demande de payer des redevances sur des fréquences qui n’auraient jamais existé, selon les dirigeants du groupe Walfadjri. 

Cependant, Sidy Lamine Niasse n’a pas fait tout ce chemin pour se faire casser. Preuves à l’appui, il avait contacté un expert-comptable et un juge afin de montrer à ses interlocuteurs la clarté avec laquelle il a toujours géré son entreprise. Mais Arrivé à l’ARTP, l’agence lui réclame des redevances diverses.

A la date du 21 février 2011, le groupe Walfadjri devait payer, selon l’Etat, 241 millions de francs CFA pour les fréquences télé des stations de Tambacounda, Ziguinchor, Kaolack, Kolda, Matam, Louga, Thiès, Richard Toll, Kédougou et Dakar.

Pour la période allant de 2012 à 2017, le groupe doit à l’Etat la somme de 200 millions de francs CFA. En y ajoutant la première somme, le PDG du groupe devrait donc s’acquitter d’un montant global de 441 millions. Mais ce dernier n’entend pas se laisser faire.

Règlement de comptes entre l’Etat et Walfadjri

Par le passé, l’opposition sénégalaise a toujours peiné à parler d’une seule voix, d’où sa vulnérabilité face au pouvoir qui dispose des moyens de l’Etat pour sévir. Voulant faire vasciller le régime de Macky Sall aux législatives du 30 juillet 2017, plusieurs leaders ont répondu, le samedi 11 mars 2017, à l’invitation de Sidy Lamine Niasse. Entre autres chefs de parti de l’opposition, on pouvait noter la présence d’Ousmane Sonko, Cheikh Bamba Dièye, Déthié Fall de, Doudou Wade, maître El hadji Diouf, Cheikh Bamba Ndiaye, Malick Ndiaye, Cheikh Gueye, Mamadou Mouth Bane et Serigne Assane Mbacké.

C’était l’occasion pour Sidy Lamine Niasse de revenir sur l’Incarcération de Khalifa Sall, le maire de Dakar, que tous chefs de partis de l’opposition jugent arbitraire.

Cette prouesse de regrouper plusieurs membres de l’opposition et de la société civile sur un même plateau, réussie par le PDG du groupe Walfadjri a, semble-t-il, irrité le pouvoir qui voit en lui un danger. D’ailleurs, «la chose est simple, il faut que Macky Sall cesse de faire tout ce qu’il veut à l’opposition », avait-il lancé.

Sentv épinglé pour un commentaire d’un journaliste

A la chaine de télévision de Bougane Guéye Dani, il est reproché un soutien au maire de Dakar et à ses lieutenants emprisonnés. Les faits reprochés au journaliste se sont déroulés lors d’un combat de lutte, un évènement retransmis en direct et très suivi. Ce jour l’animateur a dit penser à ses amis Khalifa Fall et Bamba Fall en prison. Suffisant pour que le CNRA adresse une mise en demeure à la première chaine de télé urbaine du chaine pour « intrusion de la politique dans une retransmission sportive». Si Bougane Guéye Dani et ses employés, ont préféré ne pas commenter cette décision, plusieurs observateurs de la scène politique Sénégalaise y ont vu de l’intimidation et un avertissement à tous ceux qui oseraient parler plus de l’opposition que du pouvoir. Selon plusieurs observateurs, Macky Sall est un jusqu'au-boutiste qui a entre ses mains la police, la justice et désormais le CNRA. 

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 18/03/2017 à 08h47, mis à jour le 18/03/2017 à 09h34