Aussitôt ouvert, le procès de Barthélémy Dias, député socialiste et maire de la commune de Sacré-Cœur Mermoz à Dakar, a été renvoyé sine die. Le parquet s’est ravisé à la dernière minute, évoquant l’immunité parlementaire du prévenu. Pourtant, à la barre, Barthélémy Dias a notifié à son avocat son renoncement à son immunité parlementaire afin de pouvoir être jugé pour se débarrasser de cette épée de Damoclès au dessus de lui.
La question qui s’est ensuite posée est de savoir si le député pouvait renoncer à son immunité parlementaire séance tenante. Dans tous les cas, cela n’aura aucun impact sur la procédure en cours, explique Ndiack Fall. D’après ce professeur de droit constitutionnel, qui réagissait sur les ondes de la RFM, seule l’Assemblée nationale est habilitée à lever l’immunité parlementaire du député puisqu’on n’est pas dans le cadre d’un procès en flagrant délit.
«Le député ne peut pas, de lui-même, renoncer à l’immunité parlementaire. Il s’agit d’une protection du parlementaire qui revêt un caractère d’ordre public, c’est-à-dire qu'elle s’impose au parlementaire», résume ce spécialiste du droit constitutionnel. L’immunité ne peut être levée que dans deux cas de figure : si l’Assemblée est en session, il faut le vote des députés et si l’Assemblée n’est pas en session, le vote du bureau de l’Assemblée peut suffire.
Mais pour l’avocat de la partie civile, Me Pape Mor Niang, ce renvoi est une décision un peu «surprenante». «On a reçu une convention du parquet qui a enrôlé le dossier. Et c’est ce même parquet qui a soulevé, d’office, à l’audience, cette exception arguant que le prévenu ne peut être jugé parce qu’étant un député en session parlementaire».
L’autre question, c’est pourquoi le parquet a inscrit cette affaire aujourd’hui, sachant que M. Dias bénéficie d’une immunité parlementaire ? Si certains spécialistes du droit y voient à la limite «une violation de la Constitution», d’autres évoquent carrément une «manipulation» de la justice par l’exécutif et «une velléité, une volonté (du pouvoir) de casser un homme politique» devenu très dérangeant. Le politique a été prépondérant dans ce dossier. Depuis le début.
En effet, il faut remonter à la genèse de cette affaire pour bien comprendre. En 2011, au plus fort de la contestation par l’opposition d’une candidature d’Abdoulaye Wade pour un troisième mandat, la tension politique est à son paroxysme à Dakar. Le 22 décembre 2011, assailli, dans ses bureaux, par des nervis, Barthélémy Dias, connu pour sa facilité à dégainer, n’hésite pas à faire feu. Ndiaga Diouf, 36 ans, touché par une balle, devant la mairie de Sacré-Cœur Mermoz. Le jeune homme mourra des suites du coup de feu.
Evidemment, la famille de Ndiaga Diouf demande justice, mais, il faut compter avec la terrible réalité politique qui entoure ce dossier.
Barthélémy Dias, maire de cette commune et auteur présumé du tir à feu, a été arrêté, mis en détention provisoire, puis libéré, avant d’être élu à l’Assemblée nationale sur la liste de «Benno Bokk Yakaar», la grande coalition qui a porté Macky Sall au pouvoir en 2012 et le Parti socialiste (PS), la formation dont Dias est membre.
A l’époque, l’opposition, y compris l’actuel président, Macky Sall, avait fait bloc autour de Dias pour réclamer sa libération.
Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. Le pouvoir a changé de mains. Et les alliances politiques sont aussi en train d’évoluer au sein même de la coalition au pouvoir. En effet, le bouillant maire de Sacré-Cœur Mermoz est devenu l’un des principaux lieutenants du maire de Dakar, Khalifa Sall, en guerre ouverte avec Ousmane Tanor Dieng, le Secrétaire général du PS.
On sait que ce dernier, qui vient d’être récompensé du poste de président du Haut conseil des collectivités territoriales (HCTT) nouvellement créé, reste favorable à la poursuite du compagnonnage avec Macky Sall. Alors que Khalifa s’inscrit dans une dynamique de rupture avec le pouvoir.
Militant acharné pour la candidature de Khalifa en 2019 contre Macky Sall, Barthélémy Dias est devenu une des bêtes noires du régime de Macky Sall, mais aussi d’Ousmane Tanor Dieng, son mentor d’alors. De là à voir une volonté du pouvoir de faire taire Dias, en réactivant son dossier judiciaire, avec la bénédiction de Tanor, il n'y a qu'un pas que certains analystes n'hésitent pas à franchir.
Le principal concerné, lui, est convaincu qu’il y a un «complot politique» cherchant à l’éliminer de la sphère politique. «Il y a des gens qui ne veulent pas de ce procès parce que ce procès ne peut pas se tenir sans certaines hautes personnalités de la République. C’est pourquoi, il y a toute une pression sur moi pour que je ne démissionne pas de l’Assemblée nationale», dit-il. En clair, si l’on suit le raisonnement de Dias, on veut maintenir l’épée de Damoclès de la justice sur lui pour le faire taire !