Sénégal: le procès des sept mendiants vire à celui de l’Etat

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Le 28/07/2016 à 14h17

L’arrestation et le jugement de sept personnes handicapées (dont six femmes) pour mendicité ont ravivé les contradictions de la société sénégalaise. Au point de susciter l’ire du président Macky Sall.

Début juillet, le gouvernement sénégalais avait décidé de retirer «d’urgence» les enfants de la rue. Depuis lors, des rafles ont eu lieu. La police a ramassé quelques centaines d’enfants errant dans les rues de Dakar qui ont été acheminés dans un centre d’accueil à Dakar. Mais cette opération ne concernait pas que des enfants. Quelques mendiants originaires de la sous-région ont même été renvoyés dans leur pays d’origine.

La suite de l’histoire est connue. Il y a eu la résistance des marabouts et le gouvernement a été obligé de préciser que ce retrait ne concernait pas les talibés,....

L’arrestation, le 22 juillet, de sept handicapés, dont six femmes, pour mendicité sur la voie publique vient de raviver ce débat de société. Hier, leur procès a tout simplement viré à celui de l’Etat. Dans son réquisitoire, Me Mbaye Jacques Ndiaye, l’un des neuf avocats des prévenus a accusé l’Etat d’être «responsable» de cette situation. Depuis l’indépendance, «aucun gouvernement ne s’est jamais soucié des handicapés», accuse l’avocat. Pour lui, la carte de l’égalité des chances, sensée offrir aux handicapés une alternative à la mendicité, «n’est qu’une simple formalité, rien de plus».

D’autres ténors du barreau de Dakar (comme Me El Hadji Diouf) ou l’ancien premier ministre, Me Souleymane Ndéné Ndiaye, qui s’étaient proposés pour défendre les prévenus, ont sauté sur l’occasion pour faire le procès de la politique de l’Etat envers cette «frange vulnérable de la population». Récupération politique ou pour le buzz ? En tout cas, le débat de société se pose.

En effet, même les prisons sénégalaises n’ont rien prévu pour accueillir des personnes vivant avec un handicap, dénoncent les robes noires, qualifiant de «purement colonial» l’article 245 du Code Pénal qui punit la mendicité sur la voie publique.

«La mendicité est l’ultime recours d’une personne digne qui ne veut pas voler, se prostituer ou vendre de la drogue», plaide Me Mbaye Jacques Ndiaye. Pour lui, tous les Sénégalais sont des «recéleurs» du délit dont les handicapés sont poursuivis. Me Masokhna Kane, un autre grand nom du barreau de Dakar, accuse l’Etat de pratiquer aussi la mendicité… auprès des puissances financières.

Conscient de la mauvaise posture dans laquelle le met ce procès, le gouvernement en été arrivé à souhaiter la relaxe des sept handicapés. D’après le quotidien «Libération», le président Macky Sall, qui aurait été outré par le placement sous mandat de dépôt et le jugement de personnes à mobilité réduite pour mendicité sur la voie publique, aurait déversé sa colère sur le ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, lors du Conseil des ministres d’hier.

Le tribunal n’a eu d’autres choix que de relaxer les prévenus, faisant même fi de l’avertissement de 10 jours requise par le parquet contre cinq d’entre eux.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 28/07/2016 à 14h17