Sénégal-hajj: quand les mondanités prennent le dessus sur le religieux

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Le 20/09/2016 à 14h17, mis à jour le 20/09/2016 à 14h33

Au Sénégal, l’accomplissement du cinquième pilier de l’islam (le hajj) est un fait religieux qui est aussi perçu comme un moyen d’élévation sociale. C’est pourquoi, le retour des pèlerins est fêté en grande pompe par les familles. Une pratique qui ne fait pas l’unanimité.

Après près d’un mois passé aux Lieux Saints de l’islam, les pèlerins Sénégalais sont attendus au pays cette semaine. Le retour de ces «Aladji» (déformation de El Hadji) et «Adjaratou» est généralement fêté en grande pompe par leurs familles. Ainsi, le «ganalé» (accueil des pèlerins) est devenu un grand événement pour les familles sénégalaises, au même titre que le mariage. Un événement qui réunit tous les parents et les amis. Pendant lequel on effectue parfois des dépenses somptueuses pour exposer son rang social aux yeux de la société.

Il faut dire que le hajj est perçu au Sénégal non seulement comme un acte d’adoration mais aussi un moyen d’élévation sociale. Le titre de «El Hadji» ou de «Adja» confère à l’individu un rang et un statut privilégiés dans la société. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Sénégalais tiennent particulièrement à se faire appeler «Aladji» ou «Adjaratou» le restant de leur vie après avoir effectué le hajj, alors qu’étymologiquement on ne porte ce titre que durant le le pèlerinage.

S. Diop a eu le privilège d’effectuer le hajj l’année dernière. Il faisait partie des heureux bénéficiaires des quatre billets offerts par la société qui l’emploie par ordre d’ancienneté. Donc l’essentiel des frais liés au hajj avait été pris en charge par son employeur. Mais S. Diop a énormément dépensé pour son «ganalé». «En tout j’ai dépensé presque un million de FCFA (plus de 1.500 euros) pour les cadeaux et le repas d’accueil», explique-t-il.

Le «ganalé», plutôt une tradition

En fait, au Sénégal, il est d’usage qu’au retour le pèlerin ramène des cadeaux (des tapis de prière, des foulards, des chapelets, des djellabas, etc.) aux parents et aux amis. Désormais, il est aussi d’usage d’amener des cadeaux en rendant visite au pèlerin de retour. A Dakar, dans certaines familles, comme pour le mariage, on établit un registre avec les noms de tous ceux et celles qui ont amenés des cadeaux… afin de leur rendre la pièce de leur monnaie quand ce sera leur tour. C’est comme si les familles se rivalisaient à offrir le meilleur «ganalé» à leurs pèlerins. Si certains pèlerins ne tiennent pas forcément à être fêtés, leurs familles se font un devoir de les accueillir «comme il se doit».

Pourtant, d’après B. S, diplômé de sciences religieuses, le «ganalé» relève plus de la tradition que de la religion. «Ce qui est une tradition prophétique c’est de rendre visite au pèlerin à son retour, mais quant à en faire une fête somptueuse, je n’en connais pas le fondement sur le plan religieux», explique-t-il.

G. Diallo a financé le pèlerinage de son père cette année. «J’avais misé sur un budget de 3 millions de FCFA (4.500 euros) pour le billet et les frais du voyage», explique-t-il. Là, il est «obligé» de débloquer un montant supplémentaire, peut-être 500.000 FCFA, pour le «ganalé». «Je n’avais pas prévu ça mais c’est la pression sociale», reconnaît G. Diallo. A l’aller, toute une délégation avait accompagné son père jusqu’à Dakar. Et au retour, les mêmes viendront le «récupérer» pour le ramener au village. Pendant une ou deux semaines les gens viendront de tous les villages environnants pour le «ziar» (féliciter le El Hadji et recevoir ses prières). Ils vont certes amener des cadeaux, mais il faudra aussi tuer un bœuf, leur servir à manger et à boire.

Des cadeaux «made in Sandaga»

A. Diaw, qui a aussi financé, avec ses frères, le pèlerinage de sa mère, lui, n’entend pas se plier à ce diktat de la société. Le «ganalé» pour sa mère sera réduit au strict minimum. «Je ne prévois rien de particulier. D’ailleurs maman veut que la cérémonie soit très sobre», explique-t-il.

Par ailleurs, pour les cadeaux, nombre de pèlerins Sénégalais font maintenant leurs achats non pas à la Mecque, mais à… Sandaga à Dakar. En effet, les tapis de prière, chapelets et autres effets ramenés de la Mecque sont en réalité de fabrication chinoise. Autant donc, se les faire acheter (par un membre de la famille) à Dakar et s’éviter de s’encombrer de trop de bagages, se disent-ils. Certains ne ramènent des Lieux Saints que de l’eau de Zam-Zam et quelques effets. Encore que même cette eau est vendue dans certaines boutiques à Dakar ! Sinon, tout le reste s’achète ici.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 20/09/2016 à 14h17, mis à jour le 20/09/2016 à 14h33