Sénégal: faut-il décriminaliser la consommation de cannabis?

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Le 06/10/2016 à 14h36, mis à jour le 06/10/2016 à 15h11

Le surpeuplement dans les prisons sénégalaises a relancé le débat sur la suppression de la loi Abdou Latif Guèye criminalisant le trafic et la consommation de drogue. Ces délits représentent près de 75% du rôle des Chambres criminelles du Sénégal.

La récente mutinerie à la prison de Rebeuss, qui s’est soldée par la mort d’un détenu et une quarantaine de blessés, ainsi que les mouvements d’humeur (grèves de la faim) qui se sont multipliés dans les autres prisons du Sénégal ont mis en lumière un fait : la surpopulation carcérale. Il faut rappeler que les détenus de Rebeuss réclamaient, entre autres, la fin des longues détentions préventives, l’institutionnalisation des chambres criminelles (pour justement éviter l’accumulation des dossiers et le fait que des prisonniers restent des années en prison avant d’être jugés) et la fin de la promiscuité à cause du surpeuplement dans les prisons sénégalaises.

Les images de détenus qui s’entassent comme des sardines, récemment publiées dans la presse, ont créé un choc dans l’opinion, beaucoup estimant que quelque puisse être le crime de ces personnes, elles doivent être traitées avec humanité.

D’ailleurs, les autorités sénégalaises ne cherchent pas à nier les problèmes constatés en milieu carcéral, notamment la surpopulation. «Les problèmes sont connus de tous. Ils ne datent pas d’aujourd’hui. Le gouvernement est parfaitement conscient de la situation des prisons du Sénégal», avait expliqué le directeur de l’administration pénitentiaire, le colonel Daouda Diop, au lendemain de la mutinerie de Rebeuss.

En effet, la population carcérale du Sénégal a doublé en vingt ans, passant de d’environ 5.000 à 10.000 détenus entre 1996 et 2016. De ce point de vue, le ratio est «normal» pour une population de 14 millions d’habitants. Le ratio est presque identique dans d'autres pays, notamment les plus développés. Sauf que les conditions de détention sont jugées inhumaines et les lenteurs judiciaires persistent. 

Sur 500 dossiers, 300 concernent le trafic de drogue

Ce qui interpelle le plus c’est le profil des détenus énégalais. En effet, l’écrasante majorité d’entre eux, essentiellement des jeunes, ont été écroués pour le délit de détention ou de consommation de drogue (notamment de cannabis). Une conséquence directe de la loi 2007-31 du 30 novembre 2007 du nom du défunt député Abdou Latif Guèye criminalisant le trafic de drogue. Cette loi votée au début des années 2000 à l’initiative du fondateur de l’ONG islamique «Jamra» prévoit de lourdes peines de prison, pouvant aller jusqu’à dix ans, pour les trafiquants de drogue. 

Près de dix ans après son adoption, le bilan de cette loi est mitigé. Pour le milieu judiciaire, elle se révèle être plus une contrainte qu’un avantage. Plusieurs voix dans le milieu judiciaire appellent ouvertement à sa révision, car elle pose deux problèmes fondamentaux. D'une part, elle ne fait pas la différence entre le chanvre indien et les drogues dures. Or, c'est justement le cannabis qui est la drogue la plus consommée. Aujourd'hui, beaucoup de pays dans le monde sont allés dans le sens de la légalisation de sa consommation dans un but médical. D'autre part, la frontière entre la détension pour consommation et la détension pour trafic est très ténue. Par conséquent, le législateur devrait revoir les définitions juridiques qui mènent des centaines de personnes en prison. 

En 2015, Serigne Bassirou Guèye, le procureur de la République, expliquait que «le trafic de drogue doit disparaître des rôles des chambres criminelles. Il doit être considéré comme un délit justiciable devant le Tribunal départemental». En 2015, le trafic de drogue représentait 75% du rôle de la Chambre criminelle de Dakar avec 30 cas sur 40.

Les récents événements de Rebeuss ont relancé le débat sur la révision de cette loi. «La drogue est la principale cause du surpeuplement dans nos prisons», a expliqué Me Sidiki Kaba, le ministre sénégalais de la Justice, qui révèle que sur 500 dossiers, 300 sont liés à la drogue.

A. Guèye, interprète au tribunal de Dakar, connaît bien le milieu carcéral. Il mène plusieurs activités caritatives dans les prisons. Dans sa carrière, il a vu des centaines de jeunes, «des victimes du système», passer à la barre et finalement condamnés à des peines de prison fermes pour usage de chanvre indien. Aujourd’hui, Guèye est convaincu de l’inutilité de la loi Latif Guèye. «Une mauvaise loi», dit-il.

Un débat de société

Comme les autres détracteurs de cette loi, il dénonce le fait que ce sont seulement les petits délinquants, des petits consommateurs, qui sont condamnés. Et que les grands trafiquants, eux, arrivent toujours à passer entre les mailles du filet. Un sentiment que partage Ousmane dont le frère purge actuellement une peine de 5 ans pour détention et vente de chanvre indien. Toutefois, Ousmane estime que l’intention des initiateurs de la loi (c’est-à-dire protéger la jeunesse sénégalaise contre les effets néfastes de la drogue) était «noble», même si le résultat n’est pas à la hauteur des objectifs de départ.

Mais l’idée de décriminaliser le trafic de drogue est loin de faire l’unanimité. Du côté des défenseurs des droits de l’homme, notamment de l’ONG «Jamra», on estime qu’il faut un effet dissuasif. «Avec cette loi, les narcotrafiquants sont conscients qu’ils risquent 10 ans de prison et trois fois plus que l’amende prévue sur la drogue saisie. Elle constitue une Epée de Damoclès sur la tête des trafiquants de drogue», répète à qui veut l’entendre Mame Mactar Guèye, le vice-président de «Jamra».

D’autres, comme Me Assane Dioma Ndiaye, de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (LSDH) préconisent une évaluation de la loi Abdou Latif Guèye avant de tirer des conclusions. Cette prudence des «droit-de-l’hommistes» s’expliquent par le fait que le trafic de drogue est une préoccupation mondiale et est à la base de la déstabilisation de plusieurs Etats.

Finalement, c’est un vrai débat de société qui se pose.

Ceci étant dit, une politique purement répressive est vouée à l’échec. Faut-il pour autant dépénaliser l’usage de la drogue, notamment du cannabis? Certainement pas. Certains préconisent une plus grande sensibilisation, pour conscientiser les jeunes, tout en menant une traque sans merci contre les grands trafiquants qui introduisent la drogue dans le pays. Le problème c’est que le mal avait gangréné jusqu’aux rangs de la police, où les trafiquants bénéficient de complices. Le scandale de la drogue dans la police, avec son lot de révélations fracassantes, est encore frais dans les mémoires.

Ancien directeur de l’administration pénitentiaire, le Général Mansour Niang, aujourd’hui à la retraite, est d’avis qu'«un consommateur de drogue n’a rien à faire en prison». «Ils (ces drogués) doivent être mis dans des centres de désintoxication pour toxicomanes, si l’objectif est de les corriger et de favoriser leur réinsertion sociale, mais pas les enfermer en prison», explique-t-il dans un récent entretien accordé à la Radio futurs médias (RFM). D’autant moins que les prisons sénégalaises sont totalement dépourvues de structures de désintoxication. Quid des trafiquants?

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 06/10/2016 à 14h36, mis à jour le 06/10/2016 à 15h11