Selon une étude que vient de publier l’Association des femmes médecins du Sénégal (AFEMS), en 2012, 51.500 cas d’avortement clandestins ont été répertoriés au Sénégal. Le plus grave, c’est que ces avortements sont faits sans assistance médicale, puisque l’avortement est illégal au Sénégal. D’ailleurs, d’après la même étude, en 2010, 3,6% des décès maternels sont liés à un avortement à risque. Il faut ajouter à cela un autre chiffre qui est la conséquence directe de cette réalité: 3% des femmes incarcérées dans les prisons sénégalaises ont été condamnées pour infanticides.
S’appuyant sur ces chiffres, pour le moins inquiétants, l’AFEMS et l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS) ont profité d’un atelier organisé le week-end dernier, en partenariat avec l’ONG Popconcil, pour demander la légalisation de l’avortement médicalisé pour les femmes victimes de grossesses non désirées (viol ou inceste). Un dispositif non prévu par la législation sénégalaise.
Pourtant, le pays a ratifié le protocole de Maputo qui autorise l’avortement en cas de viol ou d’inceste. L’Assemblée nationale avait voté, en 2004, une loi sur la santé de la reproduction mais celle-ci n’autorise l’avortement que si la vie de la mère est en danger. Sur ce point, la loi est parfaitement en phase avec la religion. Pour la députée Hawa Dia Thiam, qui s’exprimait dans le cadre de cet atelier, l’autorisation de l’IVG pour les cas de viol ou d’inceste permettrait au Sénégal d’être simplement en conformité avec ses engagements internationaux et les lois nationales.
Pour arriver au vote de la loi sur l’avortement médicalisé, l’AFEMS a donc mis en place une task force, un comité de plaidoyer «pour que les femmes victimes de violences ou de viols puissent accéder à un avortement sécurisé, médicalisé, encadré, où elles ne risquent pas leur vie», explique Seynabou Bâ dans les colonnes de "Le Populaire" du lundi 17 octobre.
Une demande qui a suscité une levée de boucliers dans une société sénégalaise très conservatrice et où le poids des religieux est encore très important. Les points de vue sont tranchés sur cette question. En effet, si les associations féminines mettent en avant les risques liés à l’avortement clandestin et le «traumatisme» que subissent les femmes victimes de grossesses indésirées (par viol ou inceste), les religieux, eux, voient l’avortement comme une forme de «négation du droit à la vie».
Levée de boucliers des religieux
Les ONG islamiques voient dans une éventuelle légalisation de l’avortement (quelle que puisse être la cause de la grossesse) comme la porte ouverte au «vagabondage sexuel» et à la dépravation des mœurs. D’ailleurs, pour contrecarrer le plaidoyer des mouvements féministes, l’ONG «Jamra», qui fait de cette question, avec le trafic de drogue, son cheval de bataille, annonce une nouvelle tournée de sensibilisation auprès des chefs religieux, notamment les guides des puissantes confréries.
«Légaliser l’avortement, c’est une porte ouverte au vagabondage sexuel. C’est une façon d’inciter notre jeunesse à la débauche, une manière de dire à nos filles, si vous tombez enceinte, pas de problème, vous pouvez aller à l’hôpital pour vous faire avorter», s’indigne Mame Mactar Guèye, porte-parole de «Jamra».
L’ancien président de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (LIPS), Mouhamadou Bamba Sall, lui, est formel: «En aucun cas, l’islam ne donne à une femme la possibilité d’avorter, si sa vie n’est pas en danger, et surtout pas si elle n’est pas mariée». Il enchaine avec cette formule lapidaire : «S’il n’y a pas d’adultère, il n’y a pas d’avortement». Il accuse les associations féministes d’être «manipulées par des lobbies étrangers, qui veulent déstructurer notre modèle social et atteindre notre foi musulmane».
En revanche, Mame Mactar Guèye semble plus conciliant sur le cas particulier du viol et de l’inceste. Il propose la création d’un Comité consultatif éthique où siégeraient des scientifiques, des médecins, des religieux, des femmes leaders, pour examiner la problématique «au cas par cas».