Comment expliquer l’impressionnante série de meurtres ces dernières semaines au Sénégal ? Selon le Dr Eric Gbodoussou, directeur du Centre Malango de Fatick – une unité de traitement psychiatrique mêlant expérience traditionnelle et médecine moderne – il n’y a pas à chercher bien loin. La faute revient aux djinns. Pour ce Sénégalais d’origine béninoise, célèbre pour ses recherches en matière de santé mentale et de médecine traditionnelle, le Sénégal est «sous l’emprise de djinns qui poussent les criminels à passer à l’acte».
D’après Serigne Fallou Dieng, président du Cercle des intellectuels soufis du Sénégal, le pays est devenu "un laboratoire de crimes rituels". Pour convaincre son monde, ce soufi évoque l’affaire Fama Niane, du nom de cette dame qui, il y a quelques années, avait été tuée, découpée en morceaux et dont le corps ainsi mutilé avait été jeté le long de la corniche dakaroise. Mais il parle aussi des profanations de cimetières, récurrentes ces derniers temps, notamment au cimetière de Pikine, commune d’un millions d’habitants dans la banlieue dakaroise. Tous ces actes horribles auraient donc le même dénominateur commun à en croire Dieng : le sacrifice rituel humain.
Des "sacrifices" pour conjurer le mauvais sort
Pour "maitriser" ces énergies, ces esprits maléfiques, et laver le pays du sang qui coule, Gbodoussou appelle les gouverneurs de régions à respecter les "sacrifices" qui leur ont été recommandés par les Saltigués -prêtres animistes de l'ethnie sérère- du Sine, dans la région de Fatick, au centre-ouest du pays. Il s’agit d’une minorité de Sérères, adeptes des religions traditionnelles. Même s’ils ne représentent plus qu'un pourcentage très faible de la population, leurs séances de divination sont fortement médiatisées. Lors de ces séances de "xoy ou "khoy" (divination), en juin, ces derniers, qui disent parler avec les esprits, avaient prédit "beaucoup de sang" et recommandé une série de "sacrifices" pour exorciser le mal.
Pour tous ces "experts" de circonstance, le chômage, la pauvreté, la drogue, l’appât du gain ou tout simplement "l’appel du sang" ne sauraient expliquer ces meurtres en série.
Le surnaturel n'explique rien
Toutefois, l’explication surnaturelle ou irrationnelle dont sont si friands certains Africains, peut paraître très simpliste et ressemble à un grossier mélange des genres. Du moins, pour les cas récents. Un type qui pointe son arme sur la tête d’un taximan et tire, un chauffeur qui vole sa patronne et fini par l’égorger, un étudiant qui poignarde son camarade, etc. On voit difficilement le rapport avec le sacrifice humain qu’évoquent ces "experts".
Pour l’avocat et défenseur des droits de l’Homme, Assane Dioma Ndiaye, l’absence de repères pour les jeunes et la "fracture sociale" sont bien les causes de cette criminalité grandissante.
« Les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. L’avenir est incertain, il n’y a plus d’espoir. Certains vous diront qu’ils préfèrent mourir plutôt que de vivre dans la pauvreté. La fracture sociale se creuse de plus en plus. Alors, les jeunes se réfugient dans la drogue et l’alcool qui, à un moment donné, facilitent l’éclosion de la violence. Les nerfs se tendent. Alors, la colère prend le dessus sur toutes les règles et dès lors, il n'y a plus aucune limite », analyse-t-il dans un récent entretien accordé à Sud Quotidien.