L’économie tunisienne est au bord de l’effondrement. Certains observateurs avaient même prédit l’incapacité des autorités à payer les salaires des fonctionnaires à la fin de ce mois mai 2021. Le ministère des Finances avait fini par démentir cette rumeur sur l’existence «d’un problème de réserves empêchant le versement des salaires» de ce mois. Les salaires ont été certes versés, mais la situation des finances publiques tunisiennes est critique.
Face à cette donne, le gouvernement tunisien a dépêché une importante délégation à Washington, conduite par le ministre de l’Economie, des finances et de l’appui à l’investissement, Ali Koôli, pour discuter d’un nouveau prêt du Fonds monétaire international (FMI). Toutefois, et en dépit des engagements pris par le gouvernement pour mener des réformes, les discussions entre les deux parties piétinent. L’institution de Bretton Woods reprocherait aux précédents gouvernements tunisiens de ne pas avoir respecté leurs engagements en matière de reformes structurelles.
Lire aussi : Tunisie: aux abois, le gouvernement entend entreprendre des réformes douloureuses pour obtenir des prêts du FMI
Ainsi, le retard au niveau des négociations avec le FMI constitue une réelle menace d’assèchement des ressources extérieures du pays alors que le gouvernement doit faire face à un déficit budgétaire monstre de 11.000 millions de dinars au titre de 2021, soit environ 3,33 milliards d’euros.
Le FMI souhaite plus que des promesses, notamment sur certains points dont la levée progressive des subventions des produits alimentaires de base et de l’énergie, le dégraissage de la fonction publique tunisienne et ses 650.000 fonctionnaires, la privatisation des entreprises publiques déficitaires…
Seulement, sur ces points, le consensus est loin d’être obtenu entre le gouvernement et les syndicats, qui craignent une augmentation du taux de chômage et une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs.
Or, la Tunisie est au bord du gouffre financier. Le pays n’a pas le choix et doit faire face aux prochaines échéances du service de la dette. En effet, le Trésor tunisien doit débourser 840 millions de dollars pour le remboursement de prêts dont les échéances tombent fin juin 2021.
Lire aussi : L'Italien Eni cesse ses activités hydrocarbures en Tunisie
Et les dons octroyés par les Etats-Unis et l’Union européenne sont globalement destinés au financement des projets et non au remboursement des services de la dette.
Il faut dire que la Tunisie ne bénéficie plus de la faveur des bailleurs de fonds étrangers qui lui ont ouvert les robinets depuis la révolution de 2011 dans le but de soutenir la jeune «démocratie». Les visites du Premier ministre à Paris et Lisbonne, le Portugal assurant la présidence de l’Union européenne, n’ont pas abouti aux résultats escomptés.
Face à cette situation, le gouvernement tunisien s’est orienté vers d’autres bailleurs de fonds, la Libye et le Qatar notamment, l’un des premiers soutiens des révolutions du «Printemps arabe». Après les visites du président du Parlement, Rached Ghannouchi, et du ministre de l’Economie, des finances et de l’appui à l’investissement.
, Ali Koôli, au Qatar sans succès, c’est au tour du Premier ministre de séjourner à Doha durant plusieurs jours afin d’obtenir les liquidités nécessaires pour faire repartir une machine économique totalement grippée.
Lire aussi : Dette: Washington assure son soutien à la Tunisie
Celle-ci intervient quelques jours après celle effectuée par le même chef de gouvernement à Tripoli, en Libye, visant essentiellement à obtenir des fonds pour faire face à des caisses de l’Etat vides et aux échéances du service de la dette du pays afin d’éviter des défaillances au niveau des remboursements et hypothéquer les prochaines sorties au niveau du marché de la dette sachant que le pays envisage d’emprunter 5 milliards de dollars sur le marché des capitaux en 2021.
Cette fois, il semble que les déplacements du Premier ministre ont été payants. Selon Riad Chaibi, conseiller politique du chef du mouvement Ennahdha, le Qatar va accorder 2 milliards de dollars à la Tunisie, sous forme de dépôt à la Banque centrale. Ces 2 milliards vont s’ajouter à un autre montant de 1 milliard de dollars de dépôts libyens à la Banque centrale.
Mieux, selon la même source, Doha compte organiser un forum international d’investissement à Tunis pour drainer 25 milliards de dollars d’investissements sur 5 ans. De même, le Qatar s’est engagé à recruter davantage de Tunisiens dans divers domaines: tourisme, médecine, ingénierie…
Lire aussi : Libye-Tunisie: une coopération pour une sortie de crise et partir à la conquête de l'Afrique
Ces dépôts constituent une bouffée d’oxygène pour l’économie tunisienne. Ils vont permettre au pays d’honorer ses engagements à très court terme envers ses créanciers.
Par ailleurs, ces dépôts vont augmenter les réserves de change, impacter sur la notation souveraine du pays et atténuer les tensions sur la mobilisation des emprunts sur les marchés internationaux de capitaux.
Seulement, ces 3 milliards de dollars de dépôts ne sont qu’une solution court-termiste. Or, la Tunisie a besoin de reformes structurelles à même de remettre le pays sur les rails de la croissance.
Reste que la situation économique en Tunisie est aggravée par une crise politique au sommet de l’Etat et entre les politiques et la société civile. Le président Kaïs Saied ne s’entend ni avec son Premier ministre, Mechichi, et encore moins avec le président du Parlement, Ghannouchi. Ainsi, la situation politique paralyse le pays. Parallèlement, les grèves se multiplient. Les dernières en date touchent les secteurs des phosphates et des fonctionnaires du ministère des Finances en charge des recettes fiscales, durant 4 semaines.
La crise sanitaire, et surtout sa mauvaise gestion par les autorités, ont contribué à aggraver la crise économique que traverse le pays, avec des confinements et déconfinements dont les conséquences ont été mal étudiées, faisant du pays l’un des plus affectés par la pandémie au niveau du continent africain, alors qu’il a été un modèle de gestion au tout début de la pandémie, avant d’ouvrir très tôt ses frontières. De même, à cause d’un retard en matière de vaccination, la Tunisie, devenue un foyer épidémique, a du mal à attirer des touristes alors que la reprise de ce secteur est essentielle pour une relance de l’économie du pays.
Lire aussi : Covid-19: la Tunisie allège le protocole sanitaire aux frontières pour ressusciter son tourisme
Derrière ces décisions, les guéguerres au sommet de l’Etat et entre le gouvernement et les syndicats ne comptent rien lâcher face à un gouvernement affaibli par les querelles de chapelle. Une situation qui n’encourage pas les bailleurs de fonds à octroyer de nouveaux prêts et qui pousse les investisseurs à l’attentisme.
«Il appartient à la Tunisie de relever ses défis économiques, de changer de modèle et d’engager les réformes nécessaires», a souligné tout dernièrement l’ambassadeur américain en Tunisie, Donald Blome, en indiquant par la même occasion que «l’entente entre le gouvernement, l’UGTT et l’UTICA, auxquels il conviendrait d’associer la société civile, enverra un signal fort de crédibilité à l’adresse des Etats-Unis et des bailleurs de fonds».