Après une journée de manifestations dimanche dans de nombreuses villes du pays contre la gestion de l'épidémie de coronavirus par le gouvernement de Hichem Mechichi, le président Saied a limogé ce dernier et annoncé "le gel" des activités du Parlement pour 30 jours.Il s'est octroyé le pouvoir exécutif, en annonçant son intention de désigner un nouveau Premier ministre et en procédant à des changements au sein du gouvernement.Lundi, la présidence de la République a annoncé dans un communiqué le limogeage du ministre de la Défense Ibrahim Bartagi et de la porte-parole du gouvernement Hasna Ben Slimane, également ministre de la Fonction publique et ministre de la Justice par intérim.Ennahdha, principal parti au Parlement, a fustigé ces mesures, dénonçant "un coup d'Etat contre la révolution et contre la Constitution".En revanche, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), influente centrale syndicale, a implicitement soutenu les décisions de M. Saied estimant qu'elles étaient "conformes" à la Constitution, tout en appelant à la poursuite du processus démocratique, plus de dix ans après le soulèvement qui a mené à la chute de Ben Ali."Il est temps" que les parties responsables de la situation "dégradée" dans le pays "assument leurs responsabilités", a estimé ce syndicat.
- Coup de théâtre -
Plusieurs pays se sont dits "inquiets" de ce coup de théâtre qui précipite le pays dans l'inconnu.Ankara, allié d'Ennahdha, a notamment appelé à restaurer la "légitimité démocratique".L'Allemagne a appelé au "respect des libertés civiles, qui est l'un des gains les plus importants de la révolution tunisienne" de 2011, souvent présentée comme la seule réussie du Printemps arabe.La crainte d'un retour en arrière sur les libertés acquises en 2011 a été accentuée après la fermeture lundi du bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Tunis par des policiers, sans décision de justice ni autre explication que l'application d'"instructions".Plusieurs centaines de partisans du président Saied et d'Ennahdha ont échangé des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis, pendant plusieurs heures en milieu d'après-midi, ont constaté des journalistes de l'AFP.Le président du Parlement Rached Ghannouchi, également chef d'Ennahdha, a appelé à la mobilisation et est resté près de 12 heures devant l'Assemblée bouclée par des militaires pour réclamer le droit d'y accéder.Selon Ennahdha, le bureau de l'Assemblée, réuni en dehors du Parlement, a appelé l'armée et les forces de sécurité à "se placer du côté du peuple tunisien et à remplir leur rôle de protection de la Constitution".
- Aggravation de l'épidémie -
Depuis six mois, le bras de fer entre MM. Ghannouchi et Saied a plongé la Tunisie dans une crise constitutionnelle.Les décisions de M. Saied visent à "changer la nature du régime politique en Tunisie et à le faire passer d'un régime démocrate parlementaire à un régime présidentiel, individuel et autoritaire", a estimé M. Ghannouchi dans une déclaration publiée sur la page officielle d'Ennahdha.M. Saied a assuré avoir suspendu le Parlement en vertu de l'article 80 de la Constitution, qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de "péril imminent". Cet article s'applique pour 30 jours, à l'issue desquels la Cour constitutionnelle est chargée de trancher sur leur éventuelle reconduction. Mais depuis l'adoption de la Constitution en 2014, les calculs politiques des partis ont empêché la mise sur pied de cette institution clé de la démocratie.Depuis début juillet la Tunisie fait face à un pic épidémique, avec l'un des pires taux de mortalité officiels au monde. Le pays de 12 millions d'habitants a enregistré plus de 560.000 cas, dont plus de 18.000 décès. La semaine dernière, M. Mechichi avait limogé son ministre de la Santé alors que les cas montaient en flèche, le dernier d'une série de ministres de la Santé à être limogés.Les alliés d'Ennahdha au sein de la coalition, Qalb Tounes et le mouvement islamiste nationaliste Karama, ont condamné les décisions de M. Saied.Dans l'opposition, le Courant démocratique, parti socio-démocrate qui a plusieurs fois soutenu M. Saied, a rejeté sa prise de pouvoir, imputant néanmoins la responsabilité de "la tension populaire et de la crise (...) à la coalition" gouvernementale au pouvoir.