Tunisie: Saied sous le feu des critiques après avoir prolongé ses pleins pouvoirs

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Le 15/12/2021 à 07h20, mis à jour le 15/12/2021 à 07h32

Le président tunisien Kais Saied s'est attiré un déluge de critiques mardi après sa décision de prolonger d'un an le gel du Parlement, ses opposants y voyant une nouvelle dérive autoritaire à trois jours du onzième anniversaire de la révolte ayant renversé la dictature.

Quatre mois et demi après avoir suspendu le 25 juillet le Parlement dominé par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire, Saied a procédé lundi à une dissolution qui ne dit pas son nom de l'assemblée en prolongeant son gel jusqu'au scrutin législatif dont il a fixé la date au 17 décembre 2022.

Le chef de l'Etat a aussi annoncé un référendum pour le 25 juillet sur des amendements de la Constitution, qu'il veut plus présidentielle, et de la loi électorale qui régira les législatives.

En pleine crise socio-économique et sanitaire et après des mois de blocage politique, Saied, élu au suffrage universel fin 2019, a invoqué le 25 juillet 2021 un «péril imminent» pour limoger le Premier ministre soutenu par Ennahdha, suspendre les activités du Parlement et reprendre en main le pouvoir judiciaire.

Les ambassadeurs des pays membres du G7 et de l'Union européenne (UE) en Tunisie ont appelé vendredi à un retour «rapide» aux institutions démocratiques.

Les Etats-Unis ont salué l'annonce d'un nouveau scrutin législatif pour décembre 2022.

«Prophète infaillible"

«Nous accueillons favorablement l'annonce du président Saied d'un calendrier prévoyant une voie vers la réforme politique et des élections parlementaires», a affirmé le porte-parole du département d'Etat Ned Price dans un communiqué. «Nous espérons un processus de réforme qui sera transparent et inclusif de la diversité des voix politiques et de la société civile».

Si Saied, qui se targue d'un important soutien au sein d'une opinion publique exaspérée par les blocages et la corruption, conçoit le calendrier dévoilé lundi comme une feuille de route pour tourner la page de la crise, ses opposants l'accusent de chercher à prolonger son monopole du pouvoir.

«Son discours peut se résumer ainsi: je suis l'Etat, je suis le président, je suis le gouvernement, je suis la justice, je suis la commission électorale, je suis le peuple, je suis le prophète infaillible», a réagi sur Facebook le député d'opposition Hichem Ajbouni.

Saied a fait savoir que les amendements qu'il entendait soumettre à référendum seraient la synthèse de propositions élaborées à la faveur de «consultations populaires» à partir du 1er janvier sur des plateformes électroniques dédiées.

Pour le député Samir Dilou, ex-membre d'Ennahdha, «Saied va lancer un référendum électronique susceptible de faire de la Tunisie un objet de risée».

«Pas de chèque en blanc»

Son discours «traduit l'état de déni dans lequel il vit et son refus d'écouter qui que ce soit», a-t-il ajouté auprès du quotidien Assabah.

Saied «semble déterminé à mener à bien son projet politique, faisant fi des pressions à la maison et à l'étranger», a dit à l'AFP l'analyste Slaheddine Jourchi. «Il essaye de couper l'herbe sous le pied de ses opposants en annonçant un calendrier avec des dates précises».

Son discours est intervenu en effet quelques jours avant des manifestations prévues par ses opposants mais aussi par ses partisans, le 17 décembre, jour de célébration du onzième anniversaire de la révolte qui a chassé du pouvoir Zine el Abidine Ben Ali et donné le coup d'envoi du Printemps arabe.

«Le gros problème réside dans le fait qu'il va continuer à gouverner par décrets. Son conflit politique avec ses opposants va s'aggraver», selon Jourchi.

Le discours présidentiel a suscité des réactions mitigées dans la rue.

«C'est important de mettre les choses sur la voie constitutionnelle et juridique et de les lier à un calendrier. Mais concernant les sujets actuels comme l'emploi, la pauvreté, la marginalisation et la poursuite en justice de ceux qui ont commis des crimes contre le pays, son discours en est encore loin», a confié à l'AFP Nizar ben Ahmida, un professeur de 37 ans.

«J'ai retenu le fait qu'il y aura des élections le 17 décembre 2022. Je pense que c'est trop loin. Il est en train de gagner du temps», a estimé Nidhal, Tunisois de 35 ans.

Le chef de la puissante centrale syndicale tunisienne (UGTT) Noureddine Taboubi a relevé devant la presse que le discours de Saied était «dépourvu de vision pour les orientations économiques et sociales».

Et d'ajouter: «Nous avons soutenu ses annonces du 25 juillet mais nous ne lui avons pas donné un chèque en blanc».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 15/12/2021 à 07h20, mis à jour le 15/12/2021 à 07h32