Une Malienne de 24 ans derrière la caméra pour parler des femmes

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Le 07/03/2022 à 08h00, mis à jour le 07/03/2022 à 08h06

"Je veux parler d'elles, de nous!": femme, touareg et réalisatrice, à 24 ans, Fati Walet Mohamed Issa s'est installée derrière la caméra pour sensibiliser au sort des filles exclues du système éducatif au Sahara.

Voile pudique sur la tête, large tunique sur les épaules, la jeune femme vient de boucler un court-métrage documentaire de 10 minutes sur la question: "Tamadjrezt" ("Regret", en langue touareg tamasheq).

"Chez nous, la femme, souvent, soit on la sort de l'école pour la marier, soit on refuse qu'elle aille faire des études", déplore-t-elle.

Issue du milieu nomade de la région de Tombouctou (nord du Mali) où l'éducation passe souvent au second plan, elle a aussi dû cesser ses études plusieurs années à cause du conflit.Saisissant "l'opportunité" de porter son histoire à l'écran, elle a postulé à un projet d'ONG l'an passé.

Et ça a payé!Fati a été l'une des 10 jeunes Maliennes sélectionnées par l'ONG américaine Accountability Lab pour réaliser en 2021 des courts-métrages sur la condition féminine au Mali.

Prostitution sur des sites d'orpaillage artisanal, violences conjugales, éducation: non-dits et tabous de la très conservatrice société malienne sont abordés.

Les 10 films ont été projetés mi-décembre dans une salle de conférence de Tombouctou, faute de cinéma, par la mission de l'ONU au Mali (Minusma).

"On veut donner la parole aux femmes (...) elles ne sont pas assez écoutées ni impliquées" dans la société, explique Zeina Mohamed Ali, chargée du projet chez Accountability Lab.

Devant le documentaire de Fati, les quelques dizaines d'adolescents sont attentifs.Issus des mêmes communautés, ils se sentent concernés par le sujet.

"Beaucoup à faire"

"Cela m'a inspiré", a commenté Mariama Walet, spectatrice de 28 ans, tout en ajoutant: "ça me fait mal quand je vois le retard qu'on prend dans la protection de la femme et de la fille".

Dans "Tamadjrezt" qu'elle a tourné seule dans un campement touareg de la région de Tombouctou "car les équipes techniques avaient peur de venir", Fati Walet met en scène la petite Fatma, 15 ans.

Cette adolescente au sourire enfantin, a fui en Mauritanie avec sa famille, dans le camp de réfugiés de M'Bera où de nombreux nomades ont trouvé refuge après l'irruption du conflit. La réalisatrice Fati en faisait partie.

La famille de Fatma est depuis revenue au Mali, dans sa région d'origine. Mais l'école, construite en paille dans un campement sommaire, n'a pas résisté longtemps aux pluies diluviennes qui s'abattent une fois l'an.

Fatma explique à l'écran avoir voulu poursuivre ailleurs l'école.Mais son père, Med Elmedhi Ag, a refusé. "Pour nous, les femmes et les filles doivent prendre soin de leur foyer", dit-il dans le film.

Bon gré mal gré, la coutume fait que "de nombreuses jeunes filles quittent l'école dès le primaire", embraye la voix off de la réalisatrice.

La région, comme le reste des brousses désertiques du nord du Mali, est le théâtre depuis 10 ans de violences d'abord indépendantistes qui ont depuis métastasé avec l'apparition de groupes jihadistes affiliés aux nébuleuses mondiales d'Al-Qaïda et de l'Etat islamique.

Les communautés nomades, longtemps marginalisées par l'Etat central, ont été pour certains un terreau de recrutement de ces groupes, pour d'autres les premières victimes du conflit.

"Je veux parler d'elles, de nous!J'ai fait ce film en espérant que ça va toucher notre communauté, changer leur avis par rapport aux jeunes filles", confie-t-elle à l'AFP.

Puis elle rêve à la suite: continuer?" J'en ai vraiment envie, j'ai beaucoup de thèmes en tête que j'aimerais aborder dans des films".

Au Mali, un des pays précurseurs du septième art en Afrique de l'Ouest, il y a des femmes réalisatrices. Mais "des femmes cinéastes touareg ? Je ne pense pas", sourit-elle.

Maman d'une petite fille encore poupon, elle raconte ses ambitions. Les retours ont été bons pour ce premier court-métrage et "il y a beaucoup à faire", se réjouit-elle.

"Les gens sont trop régis par les traditions ici. Mais je me suis rendu compte avec le film qu'il y avait un espoir, qu'il fallait les sensibiliser à autre chose!", clame la jeune femme.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 07/03/2022 à 08h00, mis à jour le 07/03/2022 à 08h06