Visite de Macron: "Le Monde" fait un diagnostic sans pitié sur l’Algérie

Emmanuel Macron ne veut plus qu'on lui rabâche les oreilles avec l'histoire coloniale, c'est pourquoi il a choisi de s'adresser aux jeunes.

Emmanuel Macron ne veut plus qu'on lui rabâche les oreilles avec l'histoire coloniale, c'est pourquoi il a choisi de s'adresser aux jeunes. . DR

Le 07/12/2017 à 18h06, mis à jour le 08/12/2017 à 09h27

Revue de pressePour le jeune président français, la visite éclair effectuée mercredi 6 décembre fut l’occasion de tenir un langage de vérité à son homologue algérien de 80 ans. La presse a saisi l’opportunité de s’immiscer dans le débat.

Macron a rompu avec les messages sibyllins de ses prédécesseurs. De messages qui ne sont qu’un mix de promesses qu’ils ne tiendront jamais et de regrets pas tout à fait assumés. Après chaque visite présidentielle française, les autorités d’Alger se complaisent dans le rappel d’une douloureuse histoire qui lie l’ancienne métropole à l’ancienne colonie. C’est fini, a clairement fait savoir le président français.

Dans une chronique acerbe, à la fois critique cinématographique et diagnostic impitoyable de l'Algérie actuelle, le quotidien Le Monde estime que le problème de l’Algérie, c’est l’Algérie elle-même. Elle ne peut pas continuer à convoquer l’histoire pour justifier ses maux et l'échec de ses dirigeants. Macron a d'ailleurs était formel sur ce point. 

"Il veut être le président de l’avenir, pas celui du passé. Il veut être l’homme d’une nouvelle génération française qui s’adresse à une nouvelle génération algérienne, pas l’homologue d’un vieillard cacochyme régnant sur un système paralysé", constate le quotidien français Le Monde, dans sa livraison de ce jeudi 7 décembre, sous la plume de la chroniqueuse Sylvie Kauffmann. Sur le plan mémoriel, le nouveau président français avait déjà fait le job en qualifiant la colonisation de "crime contre l’humanité". Que veulent-ils donc de plus, tous ces Algériens qui l’interpellent sur cette page qu’il n’a pas écrite, alors que le pays est à genou plus d’un demi-siècle après son indépendance?

Selon Le Monde, les grognards gagneraient à regarder En attendant les hirondelles, de Karim Moussaoui et Les Bienheureux, de Sofia Djama qui "illustrent magnifiquement cette asphyxie et l’urgence de s’en libérer". "Deux films, le premier actuellement à l’affiche et le second à partir du 13 décembre, qui, si le président français a pu les voir, lui auront fourni une meilleure préparation que tous les dossiers embarqués avec lui dans l’avion", tranche l’article. Au moins, ces deux premiers longs-métrages sont "représentatifs d’une nouvelle vague qui remet le cinéma algérien à l’honneur".

La chronique de Kauffmann fait le parallèle entre ces récentes productions cinématographiques et le "formidable documentaire de Hassen Ferhani", Dans ma tête un rond-point (2015). "Leurs personnages tournent en rond et se demandent comment sortir du choix auquel ils se sentent condamnés, «soit on se suicide, soit on se remplit la tête comme un mort-vivant, soit on traverse [la Méditerranée]»", explique-t-elle.

On a souvent vu des diagnostics sévères contre l’Algérie, mettant à nu ses mille et un maux, mais il est difficile de faire plus dur que cet article. Il faut dire que tout ressemble à du cinéma dans cette Algérie dirigée par un Abdelaziz Bouteflika, "un homme (…) au pouvoir depuis dix-huit ans, si affaibli par la maladie, si absent, que la rumeur de sa mort revient régulièrement".

Alors l’ennui, le manque de perspective et l’enfer algériens que décrit Karim Moussaoui ne sont qu’une triste réalité pour des milliers de jeunes. Le Monde le résume comme "l’attente, lente comme son film, d’un avenir qui ne vient pas". Avant d’expliquer qu’il s’agit d’une "société figée, au milieu d’immeubles inachevés, troublée par de multiples regrets, présents ou passés, et de fugaces moments de bonheur qui ne parviennent pas à briser l’immobilisme".

Et enfin, les dirigeants algériens devraient s’interroger mutuellement sur leur histoire récente qui a mené à la trahison des belles promesses de l’indépendance. Ils sont prompts à évoquer les crânes des insurgés du XIXe siècle, certes indûment détenus par la France. Tandis qu’ils ne parlent jamais de la guerre civile, "une douleur qui n’a jamais été réglée. Elle ne le sera jamais", selon Moussaoui. Et l’auteur d’En attendant les Hirondelles de se poser la question qu’évitent les responsables de l’échec: "Doit-on pour autant la laisser nous détruire?".

Tant qu’ils ne feront pas cette introspection, les millions de jeunes Algériens, à l’image du personnage d'Amal dans les Bienheureux de Djama, continueront à voir la France comme unique "porte de sortie pour son fils", explique Le Monde.

Durant sa visite, Macron a aussi dû répondre aux jeunes qui lui demandaient un visa, leur lançant sur un ton gentil, mais ferme: "Un visa, c’est pas un projet". Malheureusement, "au moment où le nombre de jeunes Algériens qui cherchent à partir est de nouveau en hausse", ils n’auront en face d’eux personne pour les sortir du dilemme: "se suicider ou traverser".

Le vrai problème n’est pas l’histoire ou des morceaux de passé que choisissent de revivre les dirigeants algériens. Le problème, c’est simplement que Macron est venu visiter "une Algérie qui va mal, qui le sait et qui n’en peut plus d’aller mal", comme le décrit si bien l’article du quotidien français. Et cela, ce ne sont pas les autres qui le disent, mais ce sont deux cinéastes algériens qui l’affirment, pour paraphraser le chef de la diplomatie, Abdelkader Messahel.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 07/12/2017 à 18h06, mis à jour le 08/12/2017 à 09h27