Alors que l’Algérie s’enfonce dans une crise économique et financière sans précédent, le régime continue sa politique de l’autruche et annonce un rebond des prix du baril à 50 dollars au mois de juin.
Devant l’inquiétude grandissante de ses compatriotes, Mohamed Arkab, le ministre algérien de l’Energie, s’est lancé dans une opération de communication où il prend le contrepied de toutes les études prospectives sur l’évolution des cours du brut.
Dans des propos tenus lors du JT de 20h de l’ENTV (chaîne nationale) du jeudi 23 avril, il estime que "les cours du pétrole reviendront à leurs niveaux habituels", notamment à partir du "deuxième semestre de l’année 2020", précisant bien ce qu’il entend par "niveaux habituels". C’est-à-dire des prix proches des 63 dollars de la fin 2019 ou de la moyenne de 50 dollars du début de l’année 2020.
Cette position qui tient davantage de la propagande est aux antipodes des analyses effectuées par les plus éminents experts dans le domaine, mais aussi de ce que l’évolution récente des cours du brut permet d’attendre dans un avenir proche.
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Pas plus tard que mardi 14 avril courant, le Fonds monétaire international (FMI) a publié ses prévisions tablant sur un baril de Brent inférieur à 45 dollars, jusqu’en 2023.
Les arguments des experts du FMI reposent sur des facteurs structurels, alors que l’optimisme de Mohamed Arkab est fondé sur une évolution peu probable liée seulement à la conjoncture. En effet, il estime qu’à partir des mois de "mai et juin" prochains, "un retour à l’équilibre à travers l’amélioration progressive de la demande" est envisageable.
Il fonde également un espoir démesuré sur "les réductions décidées par l’OPEP lors de sa dernière réunion et portant dans un premier temps, pour deux mois, sur un volume de 9,7 millions de barils/jour, puis d’autres réductions successives sur deux années".
Or, même si l’accord débute techniquement le 1er mai prochain, les marchés l’ont déjà intégré dans les cours actuels dès que Donald Trump a annoncé en début avril dernier avoir parlé avec Vladimir Poutine et le prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salman.
C’est ce qui explique que le 11 avril, quand l’accord a été effectivement signé entre les 23 pays, les 13 de l’OPEP et les 10 hors-OPEP, les marchés sont restés stoïques.
En revanche, se basant sur une réalité conjoncturelle, le Fonds monétaire international (FMI) est catégorique. Au-delà de la pandémie du Covid-19, l’économie chinoise avait entamé son ralentissement, réduisant considérablement sa demande en hydrocarbures.
A l’exception de pays comme l’Algérie ayant peu investi dans leur industrie pétrolière, les capacités de production sont en très forte hausse un peu partout dans le monde. C’est le cas particulièrement aux Etats-Unis qui produisaient à peine 5 millions de barils/jour en 2009, avant de se retrouver premier producteur mondial avec 12,1 millions de barils/jour à la fin de l’année 2019.
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Il s’agit là d’une réalité qui échappe évidemment aux effets conjoncturels ayant conduit aux cours négatifs enregistrés en début de semaine pour le baril de pétrole texan. C’est pourquoi les analystes du FMI estiment que les cours du pétrole ne se redresseront pas, même après la fin de cette pandémie.
L’autre affirmation d'Arkab qui prête à sourire est de dire que "l’Algérie avait les moyens et ressources nécessaires pour dépasser la crise pétrolière mondiale et son incidence sur son économie". Il a poussé l’outrecuidance jusqu’à expliquer que "la chute des prix du pétrole n’a pas impacté l’activité de Sonatrach".
Pourtant, le président Abdelmadjid Tebboune a demandé récemment que les charges d’exploitation et d’investissement de Sonatrach soient réduites de moitié à seulement 7 milliards de dollars. L’objectif étant de permettre de dégager suffisamment de cash à mettre à la disposition d'un gouvernement qui a toujours vécu au-dessus de ses moyens.
Sauf que ce sera une vraie gageure de faire passer les charges et les dépenses d’investissements de 14 à 7 milliards de dollars seulement et prétendre que l’activité de la Sonatrach ne sera pas affectée. C’est évidemment une hypothèse qui défie la logique.
La réalité est que l’Algérie vit les moments les plus sombres de son histoire récente et se dirige vers une crise peut-être plus sévère que celle des années noires, avec dans ce cas de figure des ennemis aussi invisibles que la frivolité des marchés et le Covid-19.
La question qui se pose est de savoir si les autorités algériennes sont irresponsables au point de fermer les yeux sur la dure réalité qui guette le pays.
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En mars dernier, alors que la pandémie n’avait pas atteint son niveau actuel en Algérie, qui compte aujourd’hui 407 morts, la Commission économique pour l’Afrique (CEA), organe de l’ONU basé à Addis Abeba et dépendant directement du Secrétaire général, avait déjà tiré la sonnette d’alarme.
Elle estimait que le pétrole a représenté 95,7% des exportations algériennes, entre 2016 et 2018, ce qui montre une extrême dépendance et surtout une exposition face aux aléas des marchés.
Cela est d’autant vrai que l’Algérie est un importateur impulsif qui achète tout à l’étranger, à commencer par les armes dont les acquisitions annuelles dépassaient régulièrement la barre des 10 milliards de dollars.
Si l’analyse de la CEA n’évoquait pas l’armement, elle mettait le doigt sur les achats de blé, de sucre, mais aussi de produits pétroliers.
La CEA notait que sur cette même période, l’Algérie présentait une balance commerciale déficitaire de 8,3 milliards de dollars. Ce pays d’Afrique du nord avait pesé pour 17,9% des importations de blé de tout le continent, se classant deuxième derrière l’Egypte, soit près de 1,8 milliard de dollars.
Il avait aussi acheté une moyenne annuelle de 2,065 milliards de dollars en médicaments. De même, l'Algérie pèse pour 16% des achats de sucre de toute l'Afrique, soit 832 millions de dollars d'importations.
Plus étonnant encore, faute d’une industrie de raffinage, le deuxième producteur d’hydrocarbures du continent, importe l’essence et le gasoil pour près de 2,5 milliards de dollars annuellement.
C’est dire que le déficit commercial sera incontrôlable avec cette chute des cours du pétrole et le renchérissement des denrées qui en découle, dont les médicaments et les produits alimentaires.
Enfin, la CEA estimait que le déficit budgétaire de l’Algérie allait atteindre 7,6% du PIB du pays et que la dette allait exploser pour se situer autour de 46,1% du PIB. Pourtant, au moment où la CEA s’inquiétait, le cours du Brent était encore à 52 dollars, le 2 mars. Aujourd’hui, ce même Brent s’échange à un cours moitié moins important, autour de 21 dollars dans la séance de ce vendredi 24 avril. Cela n'inquiète visiblement pas outre mesure le régime algérien qui préfère fredonner la chanson de "tout ira bien" alors que la maison brûle.