Coronavirus: l'Algérie face à une crise économique et financière sans précédent

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Le 23/03/2020 à 15h44, mis à jour le 23/03/2020 à 16h48

Il faut à l'Algérie un cours du Brent autour de 120 dollars pour retrouver ses équilibres budgétaire et commercial. Autant dire qu'un baril à 29 dollars met le pays au bord de la crise cardiaque, sur le plan économique comme financier. Décryptage.

Amputer un budget de fonctionnement de 30% deux mois et demi à peine après l'adoption de la loi de finances, est une décision quasi inédite en tant de paix. C'est pourtant ce que va faire le président algérien Abdelmadjid Tebboune pour essayer de se tirer d'affaire de la plus sévère crise économique et financière que traverse le pays. 

Avec un baril au plus bas depuis 18 ans, mais des dépenses publiques trois fois plus importantes qu'en 2002, l'Algérie est littéralement au bord du gouffre. 

En effet, le budget actuel avait été établi sur une projection d'un baril de Brent autour de 60 dollars, avec même l'espoir de voir la courbe se redresser à la faveur d'une entente entre les pays de l'OPEP et ceux hors-OPEP. 

C'est pourquoi, en décembre denier, le projet de loi de finances tablait sur des dépenses de fonctionnement de 4.893 milliards de dinars et un crédit d'équipement de 2.929 milliards de dinars, soit un total budgétaire de 7822 milliards de dinars, ce qui équivaut à la rondelette somme de 63,46 milliards de dollars. 

Sauf qu'avec un baril divisé par deux, la crise est bien réelle et le gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune est obligé de revoir ses prétentions financières. Les recettes de l'Etat qui dépendent à 62% directement du pétrole vont fondre comme neige au soleil, d'autant que les autres secteurs contributeurs au budget, comme le BTP, l'industrie agroalimentaire ou les services bancaires, sont eux aussi tributaires de la manne pétrolière. Au final, toutes l'économie algérienne risque de s'effondrer, d'autant qu'il faut faire face au défi sanitaire que pose la pandémie de coronavirus. 

Le problème était déjà ingérable avec un baril à 60 dollars, puisque les recettes budgétaires n'allaient être que de 6.289 milliards de dinars, soit un déficit de 1.533 milliards de dinars, ou l'équivalent de 12,44 milliards de dollars. C'est dire que le baril de Brent, qui cotait autour de 26 dollars ce lundi 23 mars à la mi-journée à Londres, est une catastrophe pour le Trésor public algérien à cause de son impact sur le budget du fait des réserves de change qui vont fondre, mais également l'ensemble des acteurs économiques qui ne se sont pas remis des effets de la révolte qui secoue le pays.

Au niveau budgétaire, les mesures annoncées par le gouvernement témoignent de l'ampleur des dégâts. Il y aura une baisse de 30% des dépenses de fonctionnement de l'Etat, mais l'Etat ne veut pas toucher aux salaires à cause du contexte social explosif. Une solution aussi irréaliste qu'improbable.

La Sonatrach, le géant pétrolier, doit également diviser par deux ses charges d'exploitation en les faisant passer de 14 à 7 milliards de dollars en 2020.

L'Etat annonce également l'accélération du recouvrement des impôts que beaucoup d'entreprises ne parviennent plus à payer, notamment celles, nombreuses, dont les patrons sont actuellement en prison.

Enfin, comme dernière mesure, il y a le recouvrement des dettes accordées par les banques publiques, notamment à ces mêmes oligarques qui devaient mettre en place une industrie automobile.

Ce ne sont là que des mesures difficiles à mettre en œuvre et aux conséquences potentiellement désastreuses. Le recouvrement des créances publiques et celles des banques passera sûrement par la nationalisation des capitaux des groupes ou purement et simplement leur liquidation auprès de nouveaux investisseurs.

Evidemment, les neuf mois qui séparent Tebboune de la fin de l'année ne suffiront pas à les mettre entièrement en œuvre. Le gouvernement algérien sera obligé de recourir à deux solutions auxquelles il avait juré de ne pas toucher. Il s'agit de la planche à billets et de la dette extérieure. Au moins pour assurer les dépenses internes auprès des agents économiques algériens et ses propres fonctionnaires, le financement dit non conventionnel peut encore être utilisé. Car les entreprises locales et les salariés du public peuvent être payés en dinars, produits par la Banque centrale.

Cette solution ne résoudra malheureusement pas le problème des importations de biens et services qui devront se faire en devises. Or, moins de recettes pétrolières, signifie moins de devises, car l'Algérie est l'unique pays africain dont 95% des exportations sont basées uniquement sur les hydrocarbures. Le pays n'a jamais réussi à diversifier son économie. Certes, il reste les réserves de change mais elles sont passées de 200 milliards de dollars en 2014 à 60 milliards de dollars en 2020. Et la baisse continue si bien que le recours à l'endettement extérieur paraît inéluctable.

Pour éviter ce douloureux sujet, le gouvernement a promis de ramener les achats de marchandises à l'étranger de 41 à 31 milliards de dollars, une prouesse qu'aucun autre gouvernement n'a réussi à mettre en œuvre. Il sera envisageable de ne plus importer de voitures ou certains biens dont la consommation n'est pas vitale à court terme. Mais faire baisser les achats externes de 25% est une véritable gageure pour un pays comme l'Algérie qui importe une bonne partie de ses besoins alimentaires.

Quant aux exportations, les leviers pour les booster sont bien minces et celui de l'engrais sur lequel veut s'appuyer le gouvernement Tebboune ne pourra pas tenir. Cette hypothèse risque de s'effondrer comme un château de cartes, puisqu'elle n'est fondée sur aucun véritable projet industriel. Celui de la mise en place avec des investisseurs chinois d'un complexe phosphatier depuis 2017 est toujours au stade de l'intention.

Les experts estimaient que pour retrouver l'équilibre budgétaire et un solde positif de la balance des paiements, l'Algérie avait besoin d'un baril de pétrole autour de 120 dollars, dont on s'éloigne de plus en plus.

Le réveil sera donc difficile pour ce pays d'Afrique du nord qui dépense annuellement quelque 10 milliards de dollars pour acheter des armes et qui importe aussi bien son blé que son lait, ses médicaments comme son acier et, pire encore, ses produits pétroliers dérivés. La seule certitude qui demeure, c'est que ce pays ne réduira pas ou seulement de façon insignifiante le budget alloué à l'armement.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 23/03/2020 à 15h44, mis à jour le 23/03/2020 à 16h48