"La guerre d'Algérie vue par les Algériens": les mensonges d'Etat révélés par le tome II

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Le 09/02/2017 à 18h10, mis à jour le 09/02/2017 à 18h15

On est en décembre 1957, près de Tétouan. Il y a d’abord eu l’assassinat d’Abane Ramdane par ses propres camarades du FLN, suivi d’une série d’épisodes méconnus de la guerre d’Algérie. C’est pourtant cette histoire réécrite qui a fait les présidents depuis 1962 et qui façonne le parti unique.

Encore aujourd’hui au cimetière d’El Alia dans la banlieue d’Alger, à l’ossuaire des martyrs de la révolution de novembre 1954, on se recueille sur la tombe d’Abane Ramdane. Celui qui fut l’un des initiateurs du congrès de la Soummam de 1956 a contribué à écrire une page importante de l’histoire de l’Algérie. Alors, il avait bien droit à une place parmi les illustres maquisards qui ont contribué à défaire la France.

Le mensonge des livres d’histoire

Seulement ce qu’on ne dit pas à tous les visiteurs, c’est que tout ici est pur cinéma. La tombe d’Abane Ramdane est vide. Le martyr ne repose pas en ces lieux. Peut-être bien qu’il est quelque part au Maroc, ou du moins, ses restes.

L’histoire que l’on apprend aux écoliers d’Algérie depuis 55 ans est fausse, sans doute réécrite par les bourreaux qui se sont succédé au pouvoir. Dans les livres produits depuis, on écrit clairement que Ramtane «est mort en décembre 1957 au champ d’honneur». Il aurait reçu une balle lors d’affrontementsavec les troupes françaises et quelques jours plus tard il aurait succombé à ses blessures. Sauf tout cela est monté de toutes pièces, selon les révélations du Tome II du livre de Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, La Guerre d’Algérie vue par les Algériens.

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Invité de Christophe Boibouvier sur Radio France internationale, l’un des co-auteurs, Renaud Rochebrune, ne mâche pas ses mots. "En Algérie, il y a un trop plein de mémoire falsifiée", dit-il d’emblée.

Il s’agit d’un règlement de comptes et il s’agit d’un "tournant". "C’est toute une séquence qui se termine, car en réalité il s’agit du congrès de la Soummam, le seul vrai congrès qui ait eu lieu pendant la guerre en août 1956 et qui est resté célèbre en Algérie", explique-t-il, ajoutant qu’il "avait posé les bases d’un regroupement relativement pluraliste mais qui prend fin avec l’assassinat d’Abane Ramdane". Ce congrès avait décidé que "le politique devait prendre le dessus sur le militaire".

A la question de savoir si l’on peut dire qu’avec l’assassinat de Ramdane, l’Algérie prend le tournant du parti unique, il répond sans hésiter : "absolument". Car, à ce congrès, il était question de faire de la place à toutes les minorités, aux Européens d’Algérie, aux juifs, à toutes les religions. En somme, une vision politique qui ne "faisait pas le lit d’un parti unique", affirme-t-il.

Bouteflika le Marocain

Au moment de l’indépendance, la lutte très serrée pour le contrôle du pouvoir est gagnée par le tandem Benbella-Boumédiène, mais au cœur de cette alliance, il y a un tout jeune capitaine, un certain Abdelaziz Bouteflika. Il est au centre de ce qui va donner le pouvoir en Algérie au moment de l’indépendance. Au départ, Boumédiene s’installe comme le numéro un au sein des militaires. Mais, lui n’a pas la légitimité des chefs historiques, du coup il cherche un allié et trouve en premier lieu Mohamed Boudiaf, le grand organisateur du 1er novembre 1954. Il envoie son principal lieutenant qui s’appelle Bouteflika voir les prisonniers des Français pour essayer de convaincre Boudiaf de faire alliance avec Boumédiène. On est en novembre 1961. Par un subterfuge, Bouteflika a réussi à aller les voir en se faisant passer pour un Marocain. L’intrigue est digne d’un roman policier, explique-t-il dans son livre.

Boudiaf n’est pas très enthousiaste pour jouer ce rôle. Du coup, Bouteflika, ne sachant pas quoi faire, s’aperçoit que Benbella est beaucoup plus réceptif et disposé à aller vers une alliance avec Boumediène.

"De 1962 à aujourd’hui, c’est la mémoire de la guerre qui a distribué les rôles politiques", affirme Renaud Rochebrune. Et jusqu’à nouvel ordre c’est cette histoire falsifiée et réécrite qui légitime les présidents. Bouteflika est visiblement le dernier à s'inscrire dans ce registre. Après, il faudra peut-être que l’Algérie s’invente une nouvelle histoire.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 09/02/2017 à 18h10, mis à jour le 09/02/2017 à 18h15