Algérie: Isabelle Werenfels décrypte le système Bouteflika

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Le 24/02/2017 à 19h57, mis à jour le 25/02/2017 à 08h59

Revue de presseLes questions de Boisbouvier de RFI sont vitriolées et les réponses d'Isabelle Werenfels le sont encore plus. Tout y passe: de la mafia des généraux au clientélisme, en passant par l’absence de préparation de la succession... Bouteflika n'a qu'une règle: diviser pour mieux régner.

Kiosque le360 Afrique. Chistophe Boisbouvier est encore de retour avec ses interviews choc et un thème si cher aux auditeurs de Radio France internationale: l’Algérie. Il faut dire que l’annulation, à la dernière minute, de la visite d’Angela Merkel à cause d’une bronchite aigüe du président algérien met, malgré lui, ce dernier sous les feux de la rampe. Abdelaziz Bouteflika et son entourage en prennent pour leur grade. La politologue et spécialiste des pays du Maghreb, Isabelle Werenfels, a droit à tout, mais elle tape dans le mille. 

"Un président Bouteflika très malade, mais un pouvoir qui malgré tout existe. Alors ce qu’on appelle le clan Bouteflika c’est quoi, c’est qui ? Des clientélistes, une mafia de généraux, les PDG de grands groupes ?", lance d’emblée l’intervieweur. Son invitée du jour ne connaît pas la langue de bois. "Ce sont des gens avec une grande loyauté au président et ce sont ceux qui protègent le président contre les adversaires et qui l’aident à maintenir la façade", lui répond-elle. Avant de lui confirmer que «c’est un mélange de tous ces groupes que vous avez notés", tout en n'oubliant pas d’énumérer la longue liste d’apparatchiks autour de Bouteflika.

Système de privilèges

Il y a d’abord "le frère", Saïd, natif d’Oujda comme le président. C’est lui l’ouvreur de portes, qui est chambellan et vice-président qui ne dit pas son nom. C’est bien par lui que beaucoup de choses passent. Ensuite, il y a "des compagnons de la Révolution encore, des personnes de sa région, par exemple le chef du FLN Ould Abbes ou Messahel, le ministre pour le Maghreb, l’Union africaine et la Coopération arabe, puis le chef de l’armée Gaïd Salah", souligne-t-elle.

Le patron des patrons, Ali Haddad, fait également partie de ce cercle fermé de fidèles protecteurs et maquilleurs de la réalité. Evidemment, une telle liste ne saurait être complète sans Ahmed Ouyahia, chef de cabinet du président, et bien sûr le général Athmane Tartag des renseignements et de la sécurité.

Sauf que le génie Bouteflika, si tant est qu’il est permis de l’appeler ainsi, est que de toutes ces personnes, il est quasi impossible de dire qui a le plus de pouvoir. Si le frère ouvre et ferme la porte comme le veut la rumeur, tout le reste est dans "une lutte de pouvoir en vue de la succession".

Revanche sur l’armée

Bouteflika a toujours rêvé de prendre sa revanche sur l’armée qui l’avait empêché d’arriver au pouvoir à la mort de Boumédiène. Mais pour Isabelle Werenfels, "il est très difficile de savoir le vrai rôle de l’armée", notamment pour la transition car la grande muette est "en même temps une partie du problème et une partie de la solution".

Si parmi les élites civiles ou de l’armée, il y a quelques-uns qui pensent que des réformes en profondeur sont nécessaires, la grande majorité estime qu’il ne faut pas toucher à leurs privilèges à cause d’un Etat de droit ou la transparence que susciterait la transition.

Le problème c’est que Bouteflika a voulu tellement verrouiller le système et diviser pour mieux régner, donnant à chacun un bout de privilège, qu’il en est arrivé à oublier sa succession. Et c’est justement la grande crainte: qu’adviendra-t-il de l’après Bouteflika. Tous ceux qui avaient commencé à prendre trop de pouvoir ont été purement et simplement muselés ou écartés, comme "Amar Saadani, l’ex-chef du FLN".

Après Bouteflika, on verra "si le système algérien est un système de personnes, d’individus ou un système de structures et de pratiques. Et je pense que c’est plutôt un système de pratiques, des pratiques clientélistes", soutient Werenfels. "Et dans un tel système, une personne peut être remplacée par une autre qui remplit la même fonction".

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 24/02/2017 à 19h57, mis à jour le 25/02/2017 à 08h59