N’ayant consacré qu’une demi-journée à Alger, Macron a ramené dans ses valises le Premier ministre algérien pour boucler les dossiers entamés. Le lendemain de la visite du président français à Alger, Ahmed Ouyahia a été obligé de s’envoler vers Paris pour une visite qu’il ne serait pas faux de qualifier de "complémentaire". Aussi intrigante qu'instructive, cette visite n'est certainement pas pour rendre la politesse à Macron.
A travers ce déplacement à Paris, Ahmed Ouyahia a tenu à justifier la présence anecdotique de Bouteflika lors de la visite d’Emmanuel Macron. En effet, même si les médias officiels affirment que les deux chefs d’Etat français se sont "entretenus pendant une heure", les Algériens n'en ont eu qu'une preuve quasi confidentielle par l'image: un Bouteflika très affaibli, comme à l’accoutumée, a été brièvement entraperçu à la télé. Du coup, il n’est pas étonnant qu'Ahmed Ouyahia coure dans le froid parisien pour rassurer une opinion de plus en plus inquiète.
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"Contrairement à toutes les rumeurs et propagandes véhiculées par certains à partir de l’Algérie ou à partir de l’étranger, notre Président dirige bien le pays dans tous les domaines, et il n’y a ni cabinet noir, ni pouvoir occulte à Alger", s’est-il empressé de dire devant les Algériens de France lors d’une rencontre à l’ambassade à Paris.
Ouyahia seul sait pourquoi il a besoin de sans cesse revenir sur la santé de Bouteflika et sur sa capacité à diriger le pays, quand tous les faits démontrent le contraire. Il n’a quand même pas suivi Macron pour justifier l’absence omniprésente du président de la République algérien. Ce besoin excessif de justification ne peut pas éclipser la raison pour laquelle le Premier ministre algérien s’est rendu auprès de son homologue français.
N’ayant pu traiter les dossiers cruciaux de la coopération bilatérale, lors de la courte visite de Macron la veille, il a fallu réunir le 4e Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) à Paris et non à Alger. C’est ce qui explique que onze accords qui devaient être signés sous la présidence des deux chefs d’Etat ont été délocalisés à Paris.
Le quotidien El Watan justifiait déjà la courtesse de la visite de Macron par la santé de Bouteflika, par ricochet c'est aussi ce qui explique le déplacement d'Ouyahia. "Cette requalification de la visite permettra à l'hôte de l'Algérie de ne pas s'astreindre à un programme contraignant, qui mettrait mal à l'aise les autorités algériennes, compte tenu des difficultés évidentes du président Bouteflika d'assumer les charges d'un protocole laborieux et exigeant du fait de sa maladie", écrit le journal.
Le fait de ne pas "s'astreindre à un programme contraignant" présente le désavantage de ne pas pouvoir signer toutes les conventions préparées depuis longtemps. Tout ceci est riche d’enseignement, sauf que les actes des autorités algériennes démontrent qu’elles ne sont pas prêtes à en comprendre le sens. Là où "la jeunesse de Macron fait rêver la jeunesse algérienne", selon le site d’information Médiapart, la nomenklatura algérienne a choisi l’immobilisme. C’est ce qui explique qu’Ouyahia vienne à Paris pour insister sur l'absence de "pouvoir occulte à Alger" et le fait que Bouteflika, vieux et quasi impotent, dirige encore le pays.
Mais la jeunesse algérienne n’est pas dupe. Elle a bien compris ce que valait d’avoir un jeune président comme Macron, dont la visite a été un message clair.
"Il a habilement malmené le pouvoir algérien, derrière les conventions protocolaires et diplomatiques", écrit Médiapart. "Par le poids des images: cet abîme générationnel, un président hyper jeune, sur tous les fronts, courant le monde, allant au contact, sans craindre la bousculade, à l’image de la séquence dans l’ancienne rue d’Isly où il a zigzagué comme un gosse de gauche à droite, rendant fous les services de sécurité et faisant transpirer Abdelkader Bensalah, le président du Sénat algérien, incarnation du haut de ses 76 ans d’un régime à bout de souffle dont la principale figure brille par son absence et sa vieillesse", souligne le site français.
En fin de compte, il ne faut pas s’étonner qu’après sa visite à Alger, Ouyahia aussi ait voulu "traverser la Méditerranée" comme en rêvent de plus en plus de ses compatriotes.
Car, s’étrangle un éditorialiste franco-algérien que cite Mediapart: "Les Algériens se sont comportés avec Macron comme s’il était leur président. Ils lui ont formulé des plaintes et des demandes qu’ils ne peuvent pas exprimer directement à leur président. Personne n’a salué Bensalah, personne ne lui a parlé. Les gens n’avaient d’yeux que pour Macron. Quelle honte pour l’Algérie !"