Les Algériens sont assis sur le cratère d'un volcan au bord de l'éruption. Le magma social ne tardera pas à déferler sur les flancs désœuvrés des grandes villes comme Alger, Oran, Constantine, Annaba, Bejaïa. En témoignent les nombreux mouvements sociaux, qui sans avoir plus de signification politique, sont pourtant un terreau fertile pour tous ceux qui, nombreux, ont des ambitions politiques, des ambitions d’une autre Algérie.
En décembre dernier, la Kabylie était sur le point de s’enflammer après qu’une proposition de loi visant à renforcer les moyens de promotion de la langue tamazight avait été rejetée par le Parlement. Des centaines d’étudiants d’Akvou, Bouira ou Béjaïa avaient manifesté des jours durant. Le mouvement a été récupéré par les indépendantistes kabyles. Pour la première fois depuis longtemps, les manifestants ont arboré des banderoles sur lesquelles était clairement écrit: "Pour préserver notre indépendance, il nous faut un Etat. Vive la Kabylie".
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En fin de semaine dernière, ce sont pas moins de 4.000 enseignants qui ont été radiés. Leur mouvement, une grève illimitée depuis plus d’un mois, s’est durci au fil des semaines. Les manifestants ont fini par réclamer une revalorisation de leurs salaires. Si au début, seul le Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement supérieur et technique (Cnapeste) menait la grève, d’autres syndicats se sont joints à la fronde, faisant un front de plus de 30.000 éducateurs dans les lycées, collèges et écoles primaires du pays. Comme souvent, le gouvernement a sorti de son chapeau la fameuse baguette judiciaire. En effet, le mouvement a été déclaré illégal, ce qui a donné au régime le droit de radier les enseignants qui ne voulaient pas reprendre le chemin des classes.
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Il y a également eu les médecins résidents qui, une fois leur diplôme de généraliste obtenu après 7 ans d’études, poursuivent leurs études pour devenir spécialistes. En réalité, à cause du régime de service civil et militaire, ils sont des milliers à être contraints de travailler dans les hôpitaux publics qui ne pourraient pas fonctionner sans eux. C’est un euphémisme de parler de conditions de travail difficiles, comme le montrent les vidéos et images diffusées sur les réseaux sociaux par leur syndicat, le Collectif autonome des médecins résidents d’Algérie (CAMRA). Ils ont été tabassés par les forces de l’ordre, raflés et abandonnés en rase campagne, mais leur mouvement, qui a également été déclaré illégal par la justice, ne faiblit pas.
Vidéo. Algérie: les médecins grévistes raflés et abandonnés au milieu de nulle part
C’est le tarissement de la manne financière qui exacerbe le mécontentement des couches sociales moyennes. En effet, non seulement les salaires sont gelés, mais le pouvoir d’achat est miné par l’inflation. Ainsi, en 2018, les prix ont officiellement augmenté de 5,8%. Dans un pays où l’essentiel des biens de consommation vient de l’étranger, et qui connaît une chute du dinar face aux devises étrangères, il faut s’attendre à une hausse des prix beaucoup plus importante. En effet, sur le marché officiel, depuis le 1er janvier 2017, l’euro est passé de 116 à 142 dinars algériens. Un petit calcul montre que le dinar algérien a perdu 22,4% de sa valeur depuis début 2017. Et sur le marché noir, il est tout simplement devenu une monnaie de singe, puisqu’il faut débourser 208 dinars pour obtenir un euro.
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Si le sort des salariés algériens est aussi difficile, que dire de la horde de chômeurs?
Officiellement, ils représentent 12% des actifs, sauf que le chômage touche près d’un jeune sur trois. Dans son dernier rapport publié en décembre, l’Office national des statistiques algérien note que "le taux de chômage des jeunes de 16-24 ans a atteint 28,3%", précisant que la moitié sont des diplômés chômeurs.
Il y a deux semaines, dans plusieurs localités de l’ouest algérien, à proximité de la frontière avec le Maroc, les chômeurs ont manifesté en masse, bloquant des routes, brûlant des pneus et réclamant du travail. Ils ont été asphyxiés par les mesures du gouvernement, notamment la construction de murs et l’érection de barbelés à la frontière pour bloquer les activités de contrebande.
A ce rythme, il ne faudra pas s’étonner si les islamistes, tapis dans l’ombre et plus nombreux qu’ils ne l’étaient à la fin des années 1980, surfent sur la vague du mécontentement. Tout est réuni pour que l’éruption ait lieu.