Algérie: les purges, un vrai mode de gouvernance au mépris de la pérennité de l'Etat

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Le 15/04/2020 à 13h42, mis à jour le 15/04/2020 à 13h44

Le général Wassini Bouazza rejoint en prison au moins 150 officiers de haut rang de l'armée nationale populaire, mais également des dizaines d'autres personnes qui faisaient et défaisaient tout en Algérie jusqu'à une date récente. Une situation qui révèle un mode de gouvernance fragilisant l'Etat.

La Corée du nord ne fait certainement pas mieux. L'Algérie récente est gérée par d'incessantes purges. Un désastre d’une ampleur sans précédent qui se joue dans l’indifférence totale de ceux, nombreux, qui savent pourtant que leur tour viendra, où ils seront en disgrâce.

Ce ne sont pas moins de 150 officiers de l’Armée nationale populaire qui sont actuellement incarcérés à la prison militaire de Blida.

A une quarantaine de km de là, deux anciens chefs des services secrets purgent une peine de 15 et 10 ans de prison à Alger, à la maison d’arrêt d’El Harrach. Ils ont pour compagnons deux anciens premiers ministres et 34 ex-ministres du temps du règne d’Abdelaziz Bouteflika qui croupissent aussi dans les geôles d’un régime qu’ils ont forgé, soutenu et largement contribué à mettre en place.

Enfin, des dizaines d’hommes d’affaires, mais aussi de hauts cadres ayant joué un rôle prépondérant dans l’économie ou l’administration de leur pays purgent des peines plus ou moins longues. Sans parler de tous ceux qui ont choisi l’exil forcé pour échapper à la vengeance de leurs ex-copains.

Dans aucun autre pays au monde, il n'y a autant d’anciens décideurs qui se retrouvent du jour au lendemain sous les liens de la détention. Cette situation est liée aux incessantes purges qui ont récemment eu lieu pour asseoir le pouvoir des régimes qui se succèdent tout en étant enchevêtrés les uns et les autres, créant un climat de suspicion sans précédent.

Ainsi, la fin de l’ère Bouteflika et l’affirmation au grand jour du pouvoir réel de Ahmed Gaïd Salah a été à l’origine d’une première vague de mises à l’écart, limogeages, puis arrestations au sein même de la grande muette, avec comme point de départ une affaire de trafic de cocaïnes dans laquelle seraient impliqués des hauts gradés.

Certains postes ont eu des allures de sièges éjectables sur lesquels ceux qui s’asseyaient étaient condamnés à faire un saut de la mort. C’est le cas par exemple des services de renseignement de la grande muette, la fameuse Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA).

Au moins, trois de ses anciens occupants sont des pensionnaires de la prison militaire. En mai 2019, un mois après la chute de Bouteflika, le général Abdelwahab Babouri prend la place du colonel Nabil Boubekeur dit Bob, qui doit bien évidemment se retrouvera à la case prison dès le mois d’août. Mais en septembre 2019, c’est Babouri lui-même qui part tenir compagnie à son prédécesseur à la prison de Blida, en laissant son siège éjectable au général-major Athmane Benmiloud. Ce dernier n’y passera que deux petits mois, avant d’être limogé en novembre par Gaïd Salah qui faisait alors face à une contestation inédite.

Pourtant, l’ex-homme fort de l’Algérie, le défunt général de corps d’armée devait sa survie au colonel Bob qui avait permis l’arrestation de Saïd Bouteflika et des deux ex-patrons des services secrets que sont Mohamed Médiène dit Toufik et Athmane Tartag alias Bachir. Sans lui donc, Ahmed Gaïd Salah n’aurait sûrement pas réussi à garder le pouvoir jusqu’à sa mort en décembre. Il n’empêche que Bob se retrouvera en prison quelque temps après avoir permis leur arrestation.

En tout cas, tous ceux qui ont eu à occuper ce poste, pourtant si enviable et non moins stratégique de DCSA, l’ont payé de leur carrière et n’ont plus humé l’air de la liberté. Et à chaque fois qu’ils tombent, ils entraînent dans leur chute un groupe d’alliés, accusés d’être leurs complices dans l’affaire qui leur est reprochée.

Il faut dire que tous les responsables actuels ou passés des services secrets algériens sont considérés par la hiérarchie militaire et le pouvoir politique comme des rivaux. C’est sans doute ce qui explique la vague actuelle de purges qui touche pour le moment le contre-espionnage, à savoir la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Le général Wassini Bouazza, qui était à sa tête, a été d’abord mis au placard, ensuite limogé avant d’être arrêté. Un scénario qui a des airs de déjà-vu. Certains estiment que cet homme qui avait été choisi par Ahmed Gaïd Salah paie aussi son soutien immodéré à Azzeddine Mihoubi, candidat malheureux du Rassemblement national démocratique (RND) lors de la présidentielle de décembre dernier.

Il est donc logique que le duo composé de Abdelmadjid Tebboune et Saïd Chengriha se méfie d’un homme qui en sait sans doute un peu trop.

Quoi qu’il en soit, tout ceci montre, qu’en Algérie, les acteurs au sommet de l’Etat ne peuvent pas se faire mutuellement confiance. Tout le monde sait qu’il n’est là que le temps de servir le pouvoir militaire ou le régime en place, sans pouvoir compter ni sur la justice ni sur ses amitiés éphémères, ni sur aucune des institutions censées faire l’Algérie. Une situation qui pousse tout le monde à se méfier de l’autre.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 15/04/2020 à 13h42, mis à jour le 15/04/2020 à 13h44