En dépit des interpellations, des condamnations de militants et des risques liés au coronavirus, des centaines de protestataires ont repris leurs marches hebdomadaires du vendredi, notamment en Kabylie (nord-ouest), selon des sources locales.
Avec environ 200 arrestations depuis le début du confinement décrété mi-mars pour lutter contre le nouveau coronavirus, "le pouvoir a vite profité de la trêve pour arrêter le maximum d'activistes", affirme Saïd Salhi, vice-président de Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH).
Ils sont poursuivis pour "des délits d'opinion et d'expression en lien avec des publications sur les réseaux sociaux, notamment Facebook", souligne-t-il. Leurs domiciles sont perquisitionnés, leurs téléphones confisqués.
La plupart des poursuites s'appuient sur le nouveau Code pénal, adopté le 22 avril en pleine crise sanitaire.
Pour Salhi, il s'agit d'"une attaque irresponsable, à la limite de la provocation, contre les droits humains fondamentaux."
La répression s'est accélérée en quelques jours.
Pour la seule journée de jeudi, plus de 20 opposants étaient cités à comparaître. La plupart des procès avaient été reportés pour cause de pandémie.
Parmi les accusés: des figures du "Hirak", des militants politiques et des journalistes, mais aussi des quidams accusés de s'être moqués du pouvoir sur Facebook.
Reporters sans Frontières (RSF) a appelé "les autorités à cesser d'instrumentaliser la justice pour museler les médias".
"La multiplication des poursuites contre les journalistes algériens est extrêmement inquiétante et fait état d'une dégradation flagrante de la liberté de la presse en Algérie", a accusé Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de l'ONG.
Quatre journalistes ont fait l'objet cette semaine de poursuites ou de condamnations à des peines de prison.
"Casser le Hirak"
Selon l'association Comité national pour la libération des détenus (CNLD), soixante prisonniers d'opinion sont actuellement derrière les barreaux.
"Le pouvoir ne croit pas au changement, il refuse d'écouter le peuple.A mon avis, il procède aux arrestations pour casser le Hirak", estimait récemment l'avocat Mustapha Bouchachi, dans le quotidien Liberté.
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Mais loin de briser ce mouvement de protestation inédit, pluriel et sans tête de file proclamée, la traque aux "hirakistes" pourrait avoir l'effet contraire.
"C'est un sentiment général de Hogra", un terme populaire qui signifie "abus de pouvoir", qui prévaut dans la population, observe Salhi. "En réaction, certains prévoient déjà de ressortir dans la rue", malgré les risques de propagation de la maladie Covid-19.
Selon le dernier bilan officiel, plus 11.500 cas de contamination ont été officiellement recensés en Algérie, dont 825 décès.
Depuis le 7 juin, le pays connaît un déconfinement progressif. Mais tout rassemblement reste strictement interdit.
Des voix impatientes s'élèvent cependant sur les réseaux sociaux pour relancer le "Hirak". Même si militants, avocats, associations étudiantes et partis politiques ont encore appelé cette semaine à ne manifester que lorsque les conditions sanitaires le permettront.
"Régime dégage"
Défilés et sit-in ont eu lieu vendredi en province, apparemment les plus importants depuis trois mois, selon des images relayées sur les réseaux sociaux et des ONG.
Le CNLD a fait état de manifestations à Bejaïa -aux cris de "Régime dégage !"-, Tizi Ouzou et Bouira, en Kabylie, mais aussi à Oran, deuxième ville du pays, et Tlemcen (nord-ouest), à Annaba et Constantine (nord-est), ainsi qu'à Bordj Bou Arreridj, un fief hirakiste au sud-est d'Alger. La police a procédé à des interpellations.
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En revanche, Alger est restée calme, avec un dispositif policier allégé, selon des témoignages recueillis par l'AFP.
Volant à la défense du régime, plusieurs universitaires ont récemment fustigé dans des médias officiels un "néo-Hirak" qu'ils accusent d'être "au service d'un plan étranger".
En face, une coalition antirégime regroupée au sein du Pacte pour l'alternative démocratique (PAD) exhorte "les Algériennes et les Algériens à demeurer mobilisés, mais vigilants pour s'engager avec force dans la reprise effective des manifestations pacifiques dès que les conditions sanitaires (...) le permettent".
Né en février 2019 d'un immense ras-le-bol, le "Hirak" réclame un changement du "système" en place depuis l'indépendance en 1962. En vain jusqu'à présent, même si elle a obtenu en avril 2019 le départ d'Abdelaziz Bouteflika après vingt ans au pouvoir.