Algérie: le torchon brûle entre Chengriha et Tebboune, selon «Jeune Afrique»

Le président Abdelmadjid Tebboune, entouré des généraux Chengriha (chef d'état-major de l'armée) et Benali (commandant de la garde présidentielle).

Le président Abdelmadjid Tebboune, entouré des généraux Chengriha (chef d'état-major de l'armée) et Benali (commandant de la garde présidentielle). . DR

Le 17/10/2020 à 16h36, mis à jour le 19/10/2020 à 12h48

C’est le désamour entre Abdelmadjid Tebboune et ses mentors de l’armée qui l’ont intronisé tout puissant chef d’Etat, mais qui ne se doutaient pas que leur créature allait vouloir rompre avec le sacrosaint principe de partage du pouvoir entre les services secrets, la présidence et l'armée.

Tebboune veut le pouvoir, tout le pouvoir, selon les accusations qui lui sont adressées par voie de presse interposée et qui sonnent comme une sérieuse mise en garde. C’est Jeune Afrique qui vend la mèche, après avoir été informé par une source militaire, un haut gradé à la retraite fait savoir l’hebdomadaire.

"Le courant passerait mal entre le président et le chef d’état-major Saïd Chengriha depuis quelques semaines et malgré la nouvelle visite de courtoisie d’Abdelmadjid Tebboune au siège du ministère de la Défense nationale le 10 octobre dernier", écrit le magazine.

Les raisons de cette tension entre les deux principaux tenants du pouvoir algérien sont multiples, mais se résument en une lutte de pouvoir en cette période charnière où la présidence cherche à affirmer ses marques face à la prégnance de l’état-major dans les centres de décisions. 

Du coup, tout est sujet de discorde: "la politique extérieure, la réforme de la Constitution, les interférences dans la gestion des sujets liés à la sécurité et à la défense, les nominations et les changements opérés par Tebboune dans différentes institutions", résume Jeune Afrique.

Mise à l’écart de Medjahed

De tous ces points, c’est sûrement le dernier qui pose le plus problème à Chengriha, notamment quand Tebboune a décidé de mettre à la retraite le général-major Abdelaziz Medjahed, alors conseiller à la défense et la sécurité auprès du président.

Car, souligne la même source, "l’homme est très proche de Saïd Chengriha, dont il a été le supérieur hiérarchique direct pendant de nombreuses années et —littéralement— un camarade de tranchée pendant la guerre contre le terrorisme au début des années 1990".

Pour Chengriha, Tebboune a tout simplement décidé de le mettre au placard en l’affectant "à l’Institut national de stratégie globale", alors qu’il "était supposé assurer la coordination entre l’armée et la présidence".

En réalité, la présidence algérienne n’aurait pas apprécié que Medjahed suive de près la politique étrangère, à savoir "les questions de sécurité internationale impliquant l’Algérie, notamment les crises libyenne et sahélienne". Cela aurait courroucé le ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum et le patron du renseignement extérieur, Youcef Bouzit.

Evidemment, ce n’est pas tout, puisqu’aux yeux de Chengriha, Teboune va aussi commettre l’irréparable en déroulant le tapis rouge aux responsables militaires américains, alors que l’armée algérienne dépense plusieurs milliards de dollars chaque année chez les Russes et les Chinois.

Car faut-il le rappeler, récemment le chef de l’Africom, Stephen Townsend, et le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, ont été reçus en grande pompe par la présidence algérienne en mal de légitimité tant au niveau interne qu’à l’international.

Inacceptable pour les militaires qui y ont vu "une tentative de forcer la main à l’Armée nationale populaire (ANP) pour intervenir plus directement en Libye et dans le Sahel à un moment où les États-Unis se retirent d’Afrique", selon l’informateur apparemment très bien informé de Jeune Afrique.

En réalité, Tebboune en cherchant à se donner une visibilité internationale ignore ses partenaires chinois et russes et risque de mettre à mal Chengriha avec ceux qu’il considère comme ses partenaires stratégiques. C’est d’autant plus vrai que le chef du Pentagone américain, Mark Esper, ne s’est pas privé d’émettre des commentaires "anti-russes et anti-chinois" à Tunis la veille de sa visite à Alger.

Ces déclarations "ont exaspéré le chef d’état-major (Saïd Chengriha, Ndlr), alors que ce dernier avait reçu deux jours auparavant le patron de la coopération militaire russe Dmitri Shugaev", ajoute l’hebdomadaire français.

En tout cas, le fait que ces tensions soient mises au jour par une source proche de l’armée algérienne est une mise en garde claire adressée par Chengriha à Tebboune. C’est une manière de rappeler au chef de l’Etat algérien qu’il n’a de pouvoir que celui qu’a bien voulu lui donner l’armée qui fut son unique électeur lors de la mascarade qui lui a permis d’accéder à la magistrature suprême.

D’ailleurs la source de Jeune Afrique envoyée par l’armée rappelle toutes les concessions faites par Chengriha. "Dès le départ, Chengriha s’est montré hostile à une implication de l’armée en politique et a tenu à se démarquer de son prédécesseur". Tout le contraire d’un Ahmed Gaïd Salah qui était également vice-ministre de la Défense et sous le commandement duquel étaient placés les services secrets.

Tebboune et son conseiller à la sécurité seront-ils assez fins pour placer l’ensemble de ces services sous leur escarcelle et faire de Chengriha un général dénudé? Dans ce jeu d’échecs, la présidence a bien réussi à surprendre l’armée avec quelques coups d’avance. Mais qu’elle n’oublie surtout pas que cette dernière, en Algérie, a toujours les moyens de renverser le plateau de jeu, même en faisant fi des règles.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 17/10/2020 à 16h36, mis à jour le 19/10/2020 à 12h48