Sa visite devait durer deux jours, pour se terminer vendredi 16 octobre. Mais, surprise ! Alors qu’il déclarait jeudi 15, après son entretien avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboue, être «heureux de constater que notre relation bilatérale connaît un nouvel élan», Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a fait ses valises tôt dans la matinée du lendemain. Un départ précipité qui soulève nombre de questions.
La presse de propagande d’Alger affirme que Le Drian a été coupable "d’ingérence". "Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est fendu d’une véritable ingérence dans les affaires algériennes, lors de sa dernière visite à Alger", écrit Le Courrier d’Algérie dans sa livraison de ce dimanche 18 octobre.
Lire aussi : Le Drian jeudi en Algérie où il devrait évoquer la Libye et le Mali
Connu pour être quasiment le porte-voix de la présidence, ce quotidien révèle la version d’El Mouradia pour ce fiasco. La principale raison de l’irascibilité algérienne réside dans la déclaration de Le Drian après sa visite chez le président algérien. "Le président Abdelmadjid Tebboune a affiché ses ambitions de réforme des institutions pour renforcer la gouvernance, l’équilibre des pouvoirs et les libertés. Il appartient aux Algériens et à eux seuls de traduire les aspirations qui se sont exprimées avec civisme et dignité en une vision politique avec des institutions aptes à la concrétiser. La France souhaite succès et prospérité à ce pays ami, dans le plein respect de sa souveraineté", avait-il dit jeudi. Vendredi, il partait, ou on l'a prié de faire ses valises.
Car, ajoute le quotidien, "même si le message est nuancé et ses propos étant sibyllins, on estime du côté d’Alger que c’est une ingérence caractérisée dans les affaires algéro-algériennes".
Evidemment, même si les dirigeants algériens sont connus pour être des bipolaires notoires, souffrant en plus d’un grave complexe d’ex-colonisés vis-à-vis de la France, ce changement d’humeur soudain est plus que surprenant.
Lire aussi : Procès en Algérie: "je ne suis pas corrompu, même Obama le sait!", clame Abdelmalek Sellal, cacique de Bouteflika
Quoi qu’il en soit, pour cette troisième visite à Alger, Jean-Yves Le Drian était venu pour aborder plusieurs dossiers. Il y avait notamment, les questions sous-régionales, notamment celles de la Libye et du Mali, mais aussi la situation des entreprises françaises en Algérie.
Concernant le Mali, le rôle trouble d’Alger a toujours été une pomme de discorde entre Alger et Paris. C’est en Algérie que trouvent refuge la plupart des terroristes semant la mort dans le Sahel et certainement plusieurs des 200 djihadistes qu’a libérés récemment le gouvernement malien iront justement dans le voisin du nord. Que Le Drian demande à Tebboune de serrer l’étau autour d’eux afin de permettre leur neutralisation est presque une évidence. D’ailleurs, si les militaires de l’opération Barkane ont pu tuer récemment Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Al Qaïda pour le Maghreb Islamique (Aqmi), c’est grâce au «geste» d’Alger.
Lire aussi : Mali: le chef de la diplomatie algérienne, Sabri Boukadoum, émissaire une fois encore à Bamako
Pour ce qui concerne la Libye, Alger, devancée par la diplomatie marocaine et égyptienne, veut aussi se poser comme acteur-clé du règlement du conflit. Et pour cela, le soutien de Paris est le bienvenu, sauf que Paris lui-même est un acteur plus ou moins actif du conflit. Paris soutient le camp du Maréchal Khalifa Haftar et, à cause de la tension entre Ankara et Athènes, la France ne saurait se ranger du côté turc. Quand Paris tonne contre Erdogan pour son ingérence en Libye et son aventurisme dans la Méditerranée, Alger lui déroule le tapis rouge. Autant dire qu’Alger n’aura sûrement pas grand-chose à tirer de Le Drian.
Enfin concernant, les entreprises françaises en Algérie, il y a lieu de noter qu’Alger veut coûte que coûte que les géants du secteur automobile, à savoir Renault et Peugeot lancent des investissements comparables à ceux qui ont permis au Maroc d’avoir une capacité de plus de 500.000 véhicules par an et qui visent le million d’unités dans les années à venir. Sauf qu’à ce niveau ni les Français, ni les Allemands, ni même les Chinois, grands amis de l’Algérie, ne veulent réellement mettre en place des unités industrielles d’envergure.
Lire aussi : Méditerranée orientale: Erdogan accuse Macron de se comporter en "caïd"
L’Algérie cherche alors, à tout prix, à rendre la tâche difficile aux autres entreprises françaises déjà présentes sur son territoire. Ainsi, la RATP-El Djazaïr, filiale de la RATP-Développement qui exploitant le métro d’Alger, a perdu le contrat de gestion. De même Suez, qui exploite la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (Seaal), va aussi renoncer à ce contrat de gestion concédée. L’Etat algérien est allé jusqu’à accuser Suez de sabotage quand la capitale a été privée d’eau potable lors de l’Aïd el kébir passé.
De plus, concernant les marchés du BTP, les entreprises françaises sont systématiquement écartées au profit des turques et des chinoises. C’est dire qu’à ce niveau, il est difficile d’entretenir une coopération économique fructueuse entre les deux pays.