En Afrique et aux Caraïbes, le culte du vaudou décrit la possibilité pour un individu d'être placé dans un état cataleptique et privé de son âme. Maintenu ainsi en vie, il erre alors sans réellement avoir conscience de son âme, de ses actes. Les Algériens ont vécu cette malédiction avec le chef d'Etat Abdelaziz Bouteflika jusqu'à ce que la rue demande et obtienne son départ en avril 2019 et ils semblent qu'ils soient en train de vivre l'exacte réplique de cette ubuesque histoire avec le président Abdelmadjid Tebboune.
Sans puiser dans ce répertoire vaudou, les témoignages recueillis par le Figaro décrivent bien un nouveau zombie locataire du palais d'El Mouradia, au point de faire passer l'Algérie pour un bateau fantôme "sans capitaine", surtout en cette période où le pays est fortement touché par la pandémie.
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«Personne n’y échappe… Regarde, même le président, avec toute la protection qu’il a, est atteint lui aussi!», insiste Hamid, qui se contente de prier brièvement «pour tout le monde». «Oui, je suis inquiet, car c’est quoi un bateau sans capitaine, surtout en ce moment», insiste le vieux Hamid, un ancien docker, rencontré par le journaliste du Figaro à la Casbah d'Alger.
Et le reporter de confirmer que les Algériens ont de quoi être perplexes. Car, "si l’hospitalisation d’Abdelmadjid Tebboune, 75 ans, depuis le 28 octobre en Allemagne, est pour Hamid une source supplémentaire d’inquiétude, la cacophonie dans la communication officielle sur l’état de santé du président algérien - des fuites dans des médias toujours confirmées après coup par les canaux officiels - n’a rien arrangé". En d'autres termes, le fait qu'on continue de cacher la vérité en rajoute à l'angoisse des citoyens qui se demandent que fait encore Tebboune à Berlin au point de ne même pas pouvoir apparaître sur une chaise roulante comme le faisait Abdelaziz Bouteflika. Il n'y a décidément rien de très rassurant dans tout cela.
Le pire c'est que tout le monde sait que rien de tout ce que la présidence leur sert n'est vrai. Notre confrère El Watan, premier journal privé du pays, ou encore Hania, gérante d'un restauraut sur les hauteurs d'Alger, partagent les mêmes inquiétudes que Hamid. «Le silence des autorités suscite des interrogations, alimente les rumeurs les plus farfelues et enlève toute crédibilité aux déclarations officielles. Cela nous rappelle la gestion éhontée de la maladie du président déchu Abdelaziz Bouteflika», commente journal privé francophone.
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Alors que Hania a le coeur serré de voir se profiler sous une autre forme ce que le pays a vécu durant cinq ans avec l'ancien président, son restaurant doit partiellement baisser rideau, à cause des nouvelles restrictions contre le Covid-19, en vigueur depuis mardi 17 novembre. Mais il y a pire. "Je ne veux pas qu’on revienne aux années Bouteflika, quand le président nous parlait par lettres sans jamais qu’on le voit, surtout en ces moments d’incertitude et de pandémie!", explique-t-elle.
C'est d'autant plus inquiétant que Tebboune a raté des moments cruciaux qui devaient lui permettre de montrer qu'il est désormais le vrai chef de l'Etat. C'est lui qui devait inaugurer la mosquée construite par Bouteflika. Mais, le 28 octobre, jour même où cet évènement grandiose était prévu, on lui a fait prendre un vol médicalisé pour aller soigner son Covid-19 à Cologne en Allemagne. Quatre jours plus tard, Abdelamadjid Tebboune suivait sont traitement, alors que se déroulait le référendum qui devait lui donner la légitimité qu'il n'a jamais eue aux yeux du Hirak, bombardé qu'il a été par le régime militaire à la tête du pays.
Ce fut d'ailleurs un véritable bide, avec son taux de participation "historique faible de 23,7%", souligne Le Figaro. Le quotidien français aurait également pu y ajouter son absence à son propre anniversaire, le 17 novembre. Ni l'agence de presse officielle, ni les médias proche du régime, ni même des membres du gouvernement n'ont voulu s'en rappeler. Contrairement à la date du 2 mars sous Bouteflika, à cette journée du 17 novembre, le régime a préféré être amnésique comme s'il voulait oublier celui qu'on pourait désormais appelé "le patient allemand". Même les activistes du Hirak ne parlent plus de Tebboune.
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"La forte abstention au référendum, la paralysie du gouvernement et l’absence d’un agenda clair du pouvoir (la date des législatives anticipées n’a pas été annoncée) semblent tétaniser la classe politique", souligne quotidien français de droite. Ce dernier rappelle notamment que "le MSP (islamistes), un des partis les plus actifs, préfère, par exemple, critiquer la visite de Gérald Darmanin, la victoire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, ou encore l’attaque des oulémas saoudiens contre les Frères musulmans". Sur Tebboune? Rien.
Face à ce vide, les militants du Hirak essaie de reprendre la main de leur révolution volée. Le mouvement "Nida 22", c'est-à-dire l'Appel du 22 février 2019 qui avait donné naissance à la révolution pacifique a été lancé. Ils entendant organiser «une conférence inclusive des acteurs du Hirak pour définir et mettre en place les mécanismes de l’accord politique consensuel» note le quotidien français. Ils veulent cette fois que Tebboune reste sur lit d'hôpital et que son avenir reste incertain, que l'appareil militaire et tout le régime ne leur volent pas leur combat une deuxième fois. Du coup, ils affirment vouloir «un rapport de force dont le contenu n’est pas seulement le rejet, mais le projet».
La question qui se pose est bien entendu de savoir si les sorciers du régime qui savent si bien tirer profit des zombies les laisseront faire. Car, de la même manière que Bouteflika ait été si longtemps en chaise roulante avait permis aux aparatchiks de diriger le pays en se servant de lui comme d'une marionnette, un Abdelmadjid Tebboune végétatif permettra au régime de perpétuer son existence.