Algérie: les autorités veulent bâillonner davantage les médias en ligne

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Le 17/12/2020 à 10h58, mis à jour le 17/12/2020 à 11h11

Déjà étroitement surveillés et soumis à de nombreux blocages, les médias en ligne en Algérie sont désormais soumis à une nouvelle réglementation restrictive, qui menace leur espace d'expression et leur existence sur le net.

Les médias en ligne représentent "un espace libre qui échappe au contrôle des autorités, techniquement et économiquement. Avec ce texte, ils veulent mettre la main dessus", explique à l'AFP Hamdi Baala, journaliste à Twala, un site d'actualités brièvement censuré le 2 décembre.

Le décret de régulation des médias électroniques, publié en ligne le 8 décembre via le Journal officiel, est censé lutter contre "la mauvaise utilisation de ce type de médias modernes" qui diffusent "des rumeurs, des fake news et des vidéos truquées", selon le ministre de la Communication, Ammar Belhimer.

Le texte, que cet ancien journaliste présente comme un bouclier contre les attaques ciblant l'Algérie et son armée sur le web, est décrié par la profession.

Il équivaut à "une interdiction, absurde, d'une presse électronique indépendante. C'est un nouveau mauvais signal", estime le journaliste Saïd Djaafer, dans un éditorial du site 24HDZ.

"Illégal"

Les médias électroniques disposent de 12 mois pour se conformer à ces nouvelles dispositions -notamment l’obtention d’un certificat d'enregistrement pour exercer-, au risque de voir leur activité suspendue.

Ce régime d'autorisation "est contraire aux dispositions de la Constitution qui interdit tout contrôle préalable" sur les médias, relève Aymen Zaghdoudi, conseiller juridique de l'ONG Article 19, dédiée à la liberté d'expression.

"Le décret exécutif contient des obligations visant à renforcer la mainmise du pouvoir politique sur la liberté d'expression en ligne", explique-t-il à l'AFP.

Autre disposition controversée: l'hébergement des sites doit désormais être "exclusivement domicilié" en Algérie, avec un nom de domaine ".dz".

Si la plupart des sites sont actuellement hébergés à l'étranger, principalement pour des raisons techniques et d'accessibilité, l'obligation de les reloger en Algérie "pourrait conduire à la violation de certains principes comme le secret des sources", souligne Aymen Zaghdoudi.

Cette mesure est "un outil pour s'immiscer dans le contenu publié sur les sites électroniques en censurant des publications qui critiquent les pouvoirs publics", observe-t-il.

Quant aux deux autorités de régulation promises dans le décret -celle chargée de la presse électronique et l'autre du service audiovisuel en ligne-, elles n'existent pas encore.

En outre, tout directeur de média en ligne est tenu de notifier aux autorités tout "contenu illicite" publié sur ses plateformes, selon le texte. "Cette obligation érige les journalistes en auxiliaires de police", s'inquiète le conseiller juridique d'Article 19.

"On ne compte pas se conformer au décret car il est illégal. Même si on voulait le faire, on ne voit pas comment. La situation est ubuesque", déplore Hamdi Baala.

Plusieurs médias pourraient rechigner, mais les blocages imposés par les autorités, bien que pouvant être contournés par la technologie VPN, ont inévitablement un impact sur l'audience et donc la viabilité de ces sites d'information.

Mise au pas économique

Une baisse de fréquentation est susceptible de déstabiliser leurs modèles économiques, reposant pour la plupart presque exclusivement sur la publicité.

Tout en réduisant l'audience de l'espace publicitaire, la censure a de surcroît un effet dissuasif auprès des potentiels annonceurs privés.

L'attribution de la publicité publique est quant à elle le monopole de l'Agence nationale d'édition et de publicité (Anep), une entreprise gouvernementale qu'il est facile d'actionner pour faire pression sur les médias.

L'Anep, qui travaillait jusqu'ici avec les médias traditionnels (papier et télévision), se prépare à investir le paysage médiatique en ligne avec une régie digitale.

Au moins une dizaine de sites d'information ont été censurés par le régime au cours de l'année écoulée, à l'instar de Radio M, Maghreb Emergent, Interlignes, Casbah Tribune...

La pratique n’est certes pas nouvelle, le site francophone TSA (Tout sur l’Algérie) étant touché par des blocages depuis 2017, mais elle se multiplie, selon des journalistes interrogés.

C'est tout le web algérien, qui compte 22 millions d'internautes et tout autant d'utilisateurs de réseaux sociaux, qui fait l'objet d'un contrôle croissant.

Si les médias sont mis au pas au moyen de pressions judiciaires et économiques, les internautes sont poursuivis, eux, pour leurs publications critiques sur les réseaux sociaux.

Pour Saïd Djaafer, les nouvelles règles ont pour objectif de "mettre hors-la-loi ceux qui entendent rester indépendants".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 17/12/2020 à 10h58, mis à jour le 17/12/2020 à 11h11