Algérie. Censure: un nouveau tour de vis du pouvoir sur les médias

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Le 20/04/2020 à 12h30, mis à jour le 20/04/2020 à 12h32

Plusieurs journalistes ont maille à partir avec la justice inféodée au régime, alors que de plus en plus de médias font l’objet de censure. La promesse d’Abdelmadjid Tebboune de desserrer l’étau autour du cou de la presse aura été de très courte durée.

Chasser le naturel, il revient au galop. Après avoir promis de laisser la presse travailler en toute liberté, voilà que le pouvoir algérien renoue avec ses vielles amours en censurant à tour de bras. Le dernier média en date est le site d'information Inter-lignes. "Les utilisateurs de l'ADSL et de l'internet mobile ne peuvent plus y accéder sans le recours à l'application VPN. Il s'agit d'une nouvelle mesure de censure qui cible notre média", affirment les responsables du média dans un communiqué diffusé hier dimanche 19 avril sur leur site.

Face aux nombreux ratés de Abdelmadjid Tebboune, Inter-lignes a multiplié les salves de critiques. Par exemple, le samedi 18 avril, le journal en ligne pose une énième question qui fâche: "Pris entre le Hirak et les généraux, Tebboune arrivera-t-il à s’en sortir ?". Une analyse vitriolée, mais non moins exhaustive, des derniers évènements en cours dans le pays qui montre comment le chef de l’Etat algérien veut conforter le pouvoir de son clan civil et militaire.

"Tebboune réussira-t-il à reprendre les choses en main après l’arrestation du patron de la DGSI (le général-major Wassini Bouazza, chef du contre-espionnage algérien, Ndlr) et le changement à la tête de la DGSE (Youcef Bouzit, Ndlr)?", se demande Inter-lignes.

Dans cet article, parmi les choses qui ont pu énerver le président algérien figure le fait de montrer que ce dernier a été contraint de partager le pouvoir jusque dans la nomination de son gouvernement "résultant d’un compromis entre les deux clans antagoniques".

"Certains ministres ne sont pas là pour redorer son image, du fait de leur incompétence, alors que d’autres semblent travailler carrément contre lui. C’est notamment le cas de Belkacem Zeghmati (ministre de la Justice, Ndlr), qui continue à jeter les militants, journalistes et toute voix qui s’élève contre le pouvoir en prison", souligne toujours Inter-lignes.

L’analyse se termine par une mise en garde contre Tebboune et son gouvernement qui auront tort de croire que "le Hirak a désarmé". Ils ont alors intérêt à ne pas prendre, parce que la fenêtre leur est favorable, des décisions qui mèneront à leur perte.

Il convient de noter que le musellement des médias est le jeu favori du pouvoir algérien qui est allergique à la critique. Tous les sites internet d’information, radios, télévisions ou journaux qui ne savent pas le caresser dans le sens du poil subissent les foudres de l’appareil répressif, avec une privation de la manne publicitaire gérée de manière centrale et aussi le blocage de l’accès des lecteurs à leur site via internet, ou la coupure pure et simple de leur signal.

Force est de constater que quatre mois à peine après l’élection de Tebboune, l’homme aux mielleuses promesses de janvier dernier, lors de sa prestation de serment, la presse algérienne traverse la pire période de son histoire depuis trois décennies. Et ce sont les journalistes, eux-mêmes, qui font ce constat.

Le site Maghreb Emergent et la Radio M, une chaîne en ligne, sont également dans le viseur du régime algérien et subissent la même censure qu’Inter-lignes depuis le 10 avril courant. Trois médias ont donc été censurés par le régime algérien entre le 1er et le 20 avril 2020.

Des médias censurés, mais aussi des journalistes derrière les barreaux. A l'instar du représentant de Reporters sans frontières (RSF), Khaled Drareni, qui avait fait l’objet de plusieurs menaces venant des services de sécurité qui lui demandaient de se taire. Ce directeur de Casbah Tribune dérangeait les autorités parce qu’il assurait une couverture impartiale du mouvement de contestation en Algérie, depuis février 2019. Il attend un procès qui pourrait tarder à venir, malgré la dénonciation de ses collègues.

D’autres subissent un véritable harcèlement judiciaire par le biais des incessantes gardes à vue ou des contrôles judiciaires, quand ils ne sont pas purement et simplement déjà condamnés.

Par exemple Soufiane Marrakchi, journaliste freelance et producteur pour la chaîne France24, a écopé d’une peine de prison de 8 mois, le 5 avril dernier.

Mustapha Bendjama, du journal arabophone Assawt Al Akhar et rédacteur en chef du quotidien régional Le Provincial, a été placé sous contrôle judiciaire, le 5 mars dernier. Pour sa part, Said Boudour, journaliste et militant des droits de L’homme oranais, a fait l’objet d’intimidations lors de sa garde à vue.

Les nombreuses promesses d’Abdelmadjid Tebboune n’auront donc tenu même pas le temps d’un hiver. La presse algérienne doit tenir sa langue sous peine de se voir couper les vivres... ou l'accès à Internet.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 20/04/2020 à 12h30, mis à jour le 20/04/2020 à 12h32