Spécialiste reconnu de l'histoire contemporaine de l'Algérie, Benjamin Stora a été chargé en juillet par Emmanuel Macron de "dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie", achevée en 1962 et qui reste un épisode très douloureux dans les mémoires des familles de millions de Français et d'Algériens.
Il veut promouvoir une "volonté de passage, de passerelle, de circulation, de décloisonnement des mémoires", a-t-il déclaré mardi à l'AFP, ajoutant que son rapport serait concret.
"Ce n'est pas simplement idéologique, ce n'est pas simplement des discours qu'on prononce, des mots fétiches qu'on prononce, mais des actes, c'est-à-dire ouvrir des archives, identifier des lieux, chercher des disparus, entretenir des cimetières. Ce sont des choses qui sont très simples, très pratiques, très évidentes mais qui sont autant de contentieux, de problèmes très lourds entre la France et l'Algérie", a-t-il énuméré, sans dévoiler le contenu du rapport rendu public mercredi.
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Premier président français né après cette guerre, Emmanuel Macron affiche sa volonté de dépassionner et débloquer ce dossier brûlant et tenter, par ce biais, d'apaiser des relations bilatérales volatiles depuis des décennies entre les deux pays, intimement liés par l'Histoire, de la conquête et la colonisation de 1830 à la Guerre d'indépendance.
En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a chargé le directeur des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, de travailler sur la question mémorielle, de concert avec Benjamin Stora, dans une démarche commune et concertée des deux chefs d'Etat.
A l'approche du 60e anniversaire de la fin du conflit en 2022, Emmanuel Macron l'a chargé de ce rapport dans le cadre de ses initiatives pour tenter de "finir le travail historique sur la guerre d'Algérie" parce que, a-t-il expliqué en décembre, "nous avons des tas de mémoires de la guerre d'Algérie qui sont autant de blessures".
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Rien qu'en France, l'Algérie est présente dans les mémoires familiales de millions de Français ou d'Algériens, qu'il s'agisse de rapatriés pieds-noirs, d'appelés du contingent qui ont fait la guerre (qui n'a pas été appelée comme telle pendant longtemps mais désignée par le vocable d'"événements d'Algérie"), de harkis, ces supplétifs qui ont combattu pour la France, et bien sûr des immigrés algériens...
"Je pense que la société est prête pour en parler", a déclaré à l'AFP l'historienne française Sylvie Thénault, du CNRS, relevant la spécificité du lien avec l'Algérie: "aucun autre évènement du passé colonial de la France n'a touché autant de personnes en métropole".
"Sortir des conflits mémoriels"
Signe de l'extrême sensibilité du sujet, les harkis ont demandé en novembre à Stora un travail "sans parti pris idéologique ni falsification" sur des questions où des récits divergents prospèrent sur des décennies de non-dits et de regards détournés.
Dans la lettre de mission de Benjamin Stora, Emmanuel Macron indique qu'"il importe que l'histoire de la guerre d'Algérie soit connue et regardée avec lucidité. Il en va de l'apaisement et de la sérénité de ceux qu'elle a meurtris". Pour lui, il en va aussi "de la possibilité pour notre jeunesse de sortir des conflits mémoriels".
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Côté algérien, le président Tebboune a souhaité que Stora et Chikhi accomplissent "leur travail dans la vérité, la sérénité et l'apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente", comme il l'avait expliqué au quotidien français L'Opinion.
Alger attend de Paris qu'on lui remette "la totalité" des archives de la période coloniale (1830-1962) la concernant.
"L'Algérie réclame la totalité de ses archives, dont une grande partie se trouve en France qui a toujours avancé de faux prétextes, comme par exemple la déclassification de nombre d'archives pourtant réunies depuis plusieurs décennies", a ainsi déclaré M. Chikhi, un ancien combattant de la guerre d'indépendance.
La France a restitué à l'Algérie une partie des archives qu'elle conservait, mais elle a gardé la partie concernant l'histoire coloniale et qui relève, selon elle, de la souveraineté de l'Etat français.
Né en 1950 à Constantine en Algérie, Benjamin Stora enseigne l'histoire du Maghreb, des guerres de décolonisation et de l'immigration maghrébine en Europe à l'Université Paris 13 et à l'Inalco (Langues Orientales). Il est notamment l'auteur des essais "La gangrène et l'oubli, la mémoire de la guerre d'Algérie", "Appelés en guerre d'Algérie" ou "Algérie, la guerre invisible".