Apparemment, le ridicule ne tue pas le régime algérien. Les travailleurs, n'en pouvant plus de voir s'effriter leur pouvoir d'achat, demandent du pain et le gouvernement leur répond par la menace. Plusieurs syndicats ont haussé le ton face à la sévère crise économique qui sévit dans la pays. Mais, Abdelaziz Djerrad, le chef de gouvernement algérien, a simplement choisi de fulminer contre ces salariés épuisés de tirer le diable par la queue. Ce qui en a choqué plus d'un.
A la sortie d'une réunion de crise organisée à la hâte, mercredi 28 avril 2021, sur la situation explosive, Abdelaziz Djerrad a choisi de se dédouaner d'abord, pour mettre tout sur le compte du Covid-19, de bomber le torse ensuite, pour glorifier l'action gouvernementale et enfin, de hausser le ton. En somme, une attitude propre aux dirigeants algérien.
Lire aussi : Algérie. Climat social: les pompiers mettent le feu, les enseignants font l'école buissonnière
"Malgré les conditions économiques et financières difficiles que traverse le pays, notamment en raison des conséquences de la crise sanitaire mondiale et de ses répercussions sur la performance de l’économie nationale, les pouvoirs publics accordent une attention particulière à l’amélioration des conditions professionnelles, matérielles, et sociales des travailleurs dans divers secteurs", s'est-il enorgueilli.
Il a poursuivi sa fanfaronnade en affirmant qu'Abdelmadjid Tebboune a mis "en œuvre ses engagements envers cette catégorie, notamment à travers la décision qu’il a prise, relative à l’augmentation du salaire minimum national garanti à 20.000 dinars (125 euros, Ndlr)" et "l’exonération d’impôts des salaires de moins de 30.000 dinars (186 euros, Ndlr) sachant qu’il s’agit de mesures dont ont bénéficié plus de six millions de travailleurs".
Lire aussi : Algérie: la tension sociale à son paroxysme avec des brasiers allumés partout
Sauf que les syndicats ont préféré focaliser sur les difficultés que vivent leurs membres plutôt que de s'arrêter sur des mesures dont l'objectif principal est de redorer le blason du chef de l'Etat, blason terni par la crise. Selon lui, "il a été observé ces derniers temps une augmentation des protestations syndicales, derrière lesquelles se trouvent parfois des organisations syndicales non agréées, soulevant certaines revendications, dont les demandeurs sont pertinemment conscients qu’elles ne sont pas réalisables, témoignant ainsi de l’état de négligence que de nombreux secteurs ont connu depuis plus de 15 ans".
Pour lui, Tebboune a déjà fait le tour de la question sociale, il n'y a par conséquent plus rien à dire et encore moins à revendiquer. Un "grand nombre de problèmes et difficultés qu’il est demandé de traiter dans le cadre de ces protestations ont déjà été abordés par le président de la République lors de ses différentes déclarations et dialogues avec les médias, pour lesquels il s’était engagé à œuvrer pour leur trouver des solutions appropriées, et sont même incluses au sein des engagements qu’il avait annoncés lors de son élection", a-t-il affirmé.
Ainsi, il enchaîne logiquement avec les mises en garde contre ceux qui sont tentés d'"exploiter abusivement et arbitrairement" les libertés syndicales. Il parle pêle-mêle d"’obstination à suivre cette approche exagérée qui ne peut être considérée que comme une manœuvre visant à servir des objectifs clairs, même s’ils ne sont pas déclarés, visant à perturber le climat de changement que les pouvoirs publics ont initié".
Qui connaît la réthorique du régime répressif algérien, peut être certain que ce ton ne prédit rien qui vaille. Cela veut dire qu'à la moindre occasion, les syndicalistes peuvent se voir accusés de vouloir déstabiliser l'Etat algérien et ce sera la prison à coup sûr.
Lire aussi : Crise sociale sans précédent en Algérie: des jeunes menacent de se suicider collectivement
C'est pourquoi, les travailleurs ne s'y sont pas trompés et ont immédiatement réagi, notamment ceux de l'éducation qui ont voulu montrer leur détermination après la déclaration du ministre. Ainsi, après la mobilisation réussie de mercredi, 14 syndicats ont décidé de trois jours de grèves en mai, les 9, 10 et 11. "Le débrayage sera ponctué de sit-in devant les sièges des directions de l’éducation", selon le site d'information Tout sur l'Algérie (TSA) qui s'est rapproché de Lamri Zeggar, porte-parole de l’Unpef (Union nationale des professionnels de l’éducation et de la formation). Selon ce dernier, le fait d'accuser les syndicats, qui revendiquent les droits des salariés, d'avoir des intentions politiques ne date pas de maintenant. "Depuis l'indépendance, on nous chante la même chanson", répond-il à Djerad.
Toujours selon lui, même si Tebboune a augmenté le salaire minimum en le faisant passer à 20.000 dinars, c'est loin d'être suffisant. Puisque le salaire de 38.500 que perçoit actuellement un enseignant ne suffit même pas pour une semaine à une famille de trois personnes à cause de l'inflation et de la dépréciation du dinar.
Lire aussi : L’Algérie et le Nigeria parmi les 37 pays à «plus haut risque» de tension sociale
Même argumentaire du Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) pour rejeter les accusations de Djerad. Il estime que les situations difficiles que vivent les salariés ne sont pas fictives, mais bien réelles et que les manipulateurs sont à chercher ailleurs que chez les travailleurs.
"Au lieu de lancer des accusations générales (...), il faudrait cibler et citer les concernés s’il y a vraiment un manquement aux procédures ou une violation de la réglementation et des lois de la République", a-t-il demandé à Djerad.
En tout cas, la situation sociale est de plus en plus tendue et le régime gagnerait à reconnaître sa responsabilité dans les difficultés auxquelles les Algériens sont confrontés actuellement. Les menaces risquent de mettre le feu aux poudres.