Crise sociale sans précédent en Algérie: des jeunes menacent de se suicider collectivement

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Le 27/01/2021 à 14h18, mis à jour le 27/01/2021 à 14h47

La crise économique et financière est en train de muer en une crise sociale sans précédent à cause de la paupérisation qu'elle engendre. En plus des pénuries de toutes sortes, les prix des biens de premières nécessité ont prix l'ascenseur et hier des chômeurs ont menacé de se suicider collectivement

Entre gel des revenus et forte hausse des prix des denrées de première nécessité, la situation devient intenable pour les Algériens. Selon de nombreux observateurs, c'est la plus grave crise sociale qui couve, avec des indices des plus visibles.

Avant-hier lundi 25 janvier, dans la ville minière de Ouenza, wilaya de Tebessa, des chômeurs "victimes de marginalisation et du favoritisme ont occupé sans préavis l’entrée de la mine, menaçant de se suicider collectivement, si leur revendication pour l’obtention d’un poste de travail n’est pas satisfaite", écrit le quotidien El Watan sur son site internet.

Cette menace est, bein entendu, à prendre très au sérieux puisqu'elle interveint dans un contexte où la situation devient intenable pour la plupart des Algériens, à cause du niveau élevé de chômage, mais également de l'érosion du pouvoir d'achat qui est le fruit du gel des revenus et de la flambée des prix.

C'est en tout cas l'analyse que fait le quotidien l'Expression qui est allé à la rencontre d'un responsable syndical dont la conclusion fait froid dans le dos. En effet, selon Salim Labatcha, «il faut un salaire minimum de 75.000 dinars pour permettre aux citoyens de rattraper la perte de pouvoir d'achat provoquée par la hausse des prix...».

Or, actuellement, le salaire minimum dans l'administration n'est que de 18.000 dinars, soit 112 euros au cours officiel, et un ingénieur ne perçoit que 36.000 dinars, soit à peine 225 euros toujours dans l'administration. Dans le privé, certes les salaires sont plus importants, puisqu'un ingénieur peut débuter avec un salaire deux à trois fois plus importants, autour de 100.000 dinars. Cependant, dans un pays où le secteur privé est réduit à sa plus simple expression, c'est la fonction publique qui canalise l'essentiel des emplois.

En tout cas, la perte de pouvoir d'achat est indéniable. Et l'expression évoque "l'envolée historique" du prix du sardine qu'elle a pu constater "à Oran ces derniers jours". Ce poisson supposé être l'une des sources de protéines animale du pauvre est désormais vendu dans la capitale de l'Ouest algérien à 1.400 dinars le kilo.

La Sardine est certes devenue l'emblême de cette inflation dont sont victimes les Algériens, mais elle est loin d'être le seul produit concerné. A Jijel, située à 350 km à l'Est de la capitale, le site d'information local CawJijel a relevé le prix de l'agneu à 1.600 dinars, soit quelque 12 dollars, c'est-à-dire à peine le 10e du salaire minimum dans la fonction publique. Pire encore, certains produits de première nécessité bien que subventionnés deviennent introuvables. C'est le cas notamment du lait dont la distribution donne lieu à de longues files d'attente. Les images qui montrent ce phénomène inédit pululent sur les réseaux sociaux.

La cause profonde de cette paupérisation, du gel des salaires, de la menace qui pèse sur les entreprises publiques, du niveau élevé de chômage, tout comme celle de cette flambée des prix est pourtant à trouver dans la baisse drastique des revenus du pétrole. Car, en Algérie c'est sur cette manne que tout repose.

En effet, si le pays n'a plus les moyens d'importer les biens de première nécessité, c'est parce que les recettes du pétrole se sont effondrées aux cours des dernières années. Depuis 2014, le cours du pétrole est à des niveaux qui ne permettent ni un équilibre de la balance des paiements ni celui du budget. Résultats: les réserves de changes qui ont atteint 200 millions de dollars à leur plus haut niveau, il y a six ans, ne sont plus que de 29 milliards de dollars à fin 2020. C'est parce que "nos dépenses dépassent nos recettes", conclut Zouhir Mebarki, l'éditorialiste de l'Expression.

Selon lui, le pays vit "au-dessus de ses moyens" et qu'il "faut que les Algériens sachent que la situation ne peut plus durer". Les chiffres parlent d'eux-mêmes avec à chaque fois des importations largement supérieures aux exportations qui ne se limitent d'ailleurs qu'aux hydrocarbures. Ainsi, en 2018, le pays importent 46,3 milliards et n'exporte que 41,8 milliards. En 2019, le même écart s'est maintenu avec 41,9 milliards de dollars importés pour seulement 35,8 exportés. Et 2020 sera encore pire.

"Selon le ministère du Commerce, nos importations ont reculé de 18% par rapport à 2019. Ce qui est positif. Sauf que nos exportations ont elles aussi baissé. Pour l'import, nous avons laissé sur la table 34,4 milliards de dollars alors que nous n'avons encaissé pour l'export que 23,8 milliards de dollars. Ce qui donne un négatif de 11 milliards de dollars que les réserves ont dû combler", souligne-t-il en référence à l'année qui vient de s'écouler.

Pour le budget de l'Etat, le déficit est identique et est de l'ordre de 14 à 17% du PIB, alors que la norme habituellement acceptée est de 3% dans une année normale. Le pays a utilisé la planche à billets pour payer les entreprises locales et les salaires.

Aujourd'hui, seul le recours à un financement international en devises peut permettre à l'Algérie d'être soulagée. Mais le gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune s'y oppose encore, ce qui fait que le pays ne peut plus importer ni les 430.000 tonnes de lait en poudre ni les 400.000 tonnes de poissons et fruits de mer dont il a besoin, et encore moins les médicaments essentiels aux malades. La fonction publique non plus ne peut ni augmenter les salaires ni participer à la réduction du chômage, alors que beaucoup d'entreprises privées qui n'ont plus accès aux marchés sont menacées de faillite. Pendant que la maison Algérie brûle, le régime semble regarder ailleurs.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 27/01/2021 à 14h18, mis à jour le 27/01/2021 à 14h47