Voilà déjà quatre vendredis qu'aucune marche n'a été organisée dans la capiatle Alger et plusieurs grandes villes à cause du déploiement d'un imposant dispositif policier dès les premières heures de ce jour de grande prière hebdomadaire.
Pourchassés dans la rue, les militants du Hirak se réfugient sur les réseaux sociaux pour exprimer leur rejet d'un scrutin organisé par un "système" qu'ils jugent autoritaire et corrompu.
Lire aussi : Algérie: un juge pro-Hirak radié de la magistrature
Diabolisé, le Hirak ("mouvement") fait face une répression féroce qui pourrait lui être fatale. Plusieurs questions se posent quand à son avenir. Même si Abdjelmadjid Tebboune, choisi par l'ancien chef d'état-major de l'armée Gaïd Salah, est beaucoup moins légitime que le Hirak qu'il veut enterrer, il ne recule devant rien pour que la hissaba (la bande)
- Pourquoi le régime a-t-il décidé d'en finir? -
Façade de l'institution militaire, le pouvoir civil est déterminé à imposer sa "feuille de route" électorale, sans tenir compte des revendications du Hirak (Etat de droit, transition démocratique vers une souveraineté populaire, justice indépendante) afin de rétablir "la stabilité" après le soulèvement du 22 février 2019.
Il cherche une légitimité, après deux fiascos électoraux: la présidentielle de 2019 et le référendum constitutionnel de 2020, marqués par des abstentions historiques.
Optant pour le tout-sécuritaire, le ministère de l'Intérieur a obligé les organisateurs des marches du Hirak à "déclarer" au préalable les manifestations auprès des autorités, ce qui revient de facto à les interdire puisque ce mouvement revendique précisément son absence de leaders.
- Quelles sont les accusations contre le Hirak? -
Le régime --le président Abdelmadjid Tebboune en tête-- rend régulièrement hommage au "Hirak béni", mais il estime que ses revendications ont été satisfaites "dans des délais record".
Il fustige un "néo-Hirak", dont les militants sont qualifiés de "magma contre-révolutionnaire" à la solde de "parties étrangères" hostiles à l'Algérie.
Lire aussi : Algérie: le pouvoir brise les marches du Hirak à Alger
Les autorités ont récupéré la date anniversaire du 22 février sous le nom de "Journée nationale de la fraternité et de la cohésion peuple-armée pour la démocratie". Le "Hirak béni" a même été introduit dans le préambule de la Constitution, pour mieux l'embaumer.
- Le Hirak a-t-il échoué? -
Plus de deux ans après sa naissance, le Hirak est confronté à un choix cornélien: prendre la voie politique, au risque de se compromettre avec un régime honni, ou se perdre dans un "dégagisme" stérile.
Il se divise entre islamistes et laïcs démocrates, entre ceux ouverts à une participation politique --mais à quelles conditions?-- et d'autres, les plus nombreux, qui n'en veulent pas.
"Le Hirak a ébranlé l'ancien ordre politique (...), mais il n'a pas réussi --pas encore-- à imposer un ordre nouveau", constate le journaliste Abed Charef.
Lire aussi : Algérie: lancement de la campagne électorale sur fond de répression du Hirak
S'il a mis fin au règne du président Abdelaziz Bouteflika, il est reproché au mouvement de n'avoir pas présenté de propositions politiques concrètes ni de programme électoral. Certains l'accuse aussi d'être "jusqu'au boutiste" et d'avoir versé dans l'extrémisme.
"Le pouvoir se dresse contre toutes les initiatives. Il y a un appareil répressif prêt à toutes les méthodes pour empêcher le changement", rétorque Karim Tabbou, figure emblématique du mouvement.
Pour l'ex-prisonnier d'opinion, le Hirak est "le plus grand parti politique en Algérie" qui "a su créer les conditions (...) d'une action commune de toutes les tendances qui travaillent pour le changement".
"Il y a un pouvoir qui organise des élections et il y a un peuple dans la rue", dit-il.
- Le Hirak peut-il survivre et incarner une alternative politique? -
Le régime multiplie les interpellations et les poursuites judiciaires à l'encontre des hirakistes. Plus de 220 prisonniers d'opinion sont derrière les barreaux, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
Pourtant, "le Hirak, même dans une version latente, restera. C'est pour cela que la répression ne va pas faiblir", souligne Kaddour Chouicha, universitaire et militant des droits humains.
Lire aussi : Algérie: le directeur d'une radio proche du Hirak placé sous contrôle judiciaire
"Le Hirak en tant que mouvement politique, en tant qu'idée et lieu de la réforme, reste présent et pertinent", abonde Amel Boubekeur, sociologue à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.
Il s'agit d'un mouvement singulier et pluriel, le seul issu de la société civile, porté par la jeunesse et les classes populaires.
"Il se peut qu'il connaisse d'autres développements ou qu'il donne d'autres formes de contestation, mais il continuera à irriguer la conscience collective tant que le système politique restera inchangé", analyse le politologue Mansour Kedidir.
Et "dans un espace virtuel très actif, il continue de former les esprits".
- La contestation sociale va-t-elle se substituer à la protestation politique? -
Les tensions sociales sont attisées par la dégradation de la situation économique et alimentées par le chômage et une paupérisation de larges franges de la société.
"La question sociale, absente lors de la première vague du Hirak en 2019, se greffe à la contestation politique", relève Dalia Ghanem, chercheuse résidente au Carnegie Middle East Center.
Le gouvernement a durci le ton au début du mois, dénonçant "l'exploitation de l'activité syndicale par certains mouvements subversifs".
Mais qui saura encadrer un mouvement de protestation sociale?
"Dans un contexte de crise économique aggravée par les crispations politiques, le Hirak, seul réceptacle de toutes les frustrations sociales, restera l'unique moyen de mobilisation populaire", prédit M. Kedidir.