Ce qui vient de se passer en Algérie ne fait pas rire aux manifestants du Hirak, loin s'en faut d'ailleurs. Après 121 vendredis de manifestations, soit deux ans et trois mois passés à dénoncer le régime de la "Issaba" (la bande) et des "Askari" (militaires), voilà qu'ils se retrouvent avec exactement les mêmes à la tête du pouvoir algérien. L'issue de ces législatives, dont les résultats étaient cousus de fil blanc, montre que l'armée a choisi l'immobilisme, malgré le revers infligé par les partisans du boycott.
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Car, ce parlement issu des législatives du 12 juin, avec sa future majorité, sa future opposition et ses futurs indépendants, est plus que jamais minoritaire et ne représentera que 10% des Algériens. Car, au final, il ne faudra pas perdre de vue que, d’après les chiffres communiqués par l’Agence nationale indépendante des élections (ANIE), seuls 5,6 millions ont voté sur un total de 24 millions d’inscrits. Mais, dans ce nombre, un million de bulletins ont été déclarés nuls.
Cependant, faisant fi de ce camouflet, le pouvoir vient d'annoncer l'issue des urnes, qui correspond à quelque chose près à ce que les Algériens ont toujours connu. Figurent en tête, l'alliance du Front de libération nationale (FLN), le fameux parti-Etat algérien, et du Rassemblement national démocratique (RND), avec respectivement 105 et 57 sièges, soit un total de 162 sièges.
Les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui avaient revendiqué la victoire dès dimanche, doivent se contenter des 64 sièges que le régime a bien voulu leur octroyer. De sorte qu’ils ne sont que deuxièmes. Et de toute manière, vu sous un certain angle purement politique, le FLN, le RND et le MSP, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
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Car, pour comprendre cette intrusion supposée du MSP, il faut revenir à leur historique et à la relation que le parti fondé par Mahfoud Nahnah (1942-2003) a souvent eue avec le pouvoir. Car, son fondateur prônait ouvertement la «Chouracratie», mélange de Choura, l’assemblée islamique et la Démocratie à l’occidentale. C’est d’ailleurs ce qui lui avait valu l’inimitié des radicaux du Front islamique du salut (FIS), le parti qui avait remporté les législatives de 1992, lesquelles déboucheront sur la guerre civile.
A la mort de Nahnah, le MSP sera un allié incontestable d’Abdelaziz Bouteflika, comptant même plusieurs ministres dans les gouvernements algériens successifs. Même quand, en 2012, le MSP annonce avoir quitté l’alliance présidentielle à la veille des législatives, cinq de ses ministres sont toujours maintenus dans le gouvernement, une manière subtile de ménager la chèvre et le chou. Donc, ce parti islamiste, qui se dit démocrate-musulman a une longue histoire avec la Issaba et les Askaris, a souvent mangé à la même écuelle que tous les apparatchiks que combat le Hirak.
Ce n’est qu’en 1997, quand ils ont senti la fin prochaine de Bouteflika, que le MSP a préféré se montrer radical en refusant catégoriquement de rejoindre à nouveau l’alliance présidentielle. Mais, dès que Bouteflika a été forcé au départ, Abderrazak Makri se montre conciliant avec le régime en place, tout en affirmant incarner les exigences du Hirak, devenant ainsi un faire-valoir du pouvoir. D’ailleurs, c’est ce qui explique sa participation à ces législatives, quand tous ceux qui se réclament du Hirak l’ont rejeté.
A côté du MSP, il y a au moins deux autres partis qui font un score plus que significatif. Il s’agit du Front El Moustakbal de Abdelaziz Belaïd qui a remporté 48 sièges. Le Mouvement El Bina de Abdelkader Bengrina a vu 40 de ses candidats élus.
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Le Front El Moustakbal, non plus, n’est pas si différent du MSP dans sa logique de suivre les instructions du pouvoir. Ainsi, à la suite du départ forcé d’Abdelaziz Bouteflika, Abdelaziz Belaïd a clairement prêté allégeance à Ahmed Gaïd Salah en rencontrant le président par intérim d’alors, Abdelkader Bensalah et en déclarant, à la suite de cela, s’en tenir à l’application stricte de la Constitution. C’était la meilleure manière de dire à Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort de l’Algérie en ce moment, que sa feuille de route serait scrupuleusement respectée, notamment en prenant part à la présidentielle programmée pour légitimer, plus tard, le choix de Tebboune. Ces 48 sièges dans cette législature sont donc une forme de récompense à ce qu’il est convenu d’appeler conformisme d’allégeance au régime.
Enfin, concernant le Mouvement El Bina, il y a lieu de noter qu’Abdelkader Bengrina, n’est autre que le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2019 qui a vu Abdelmadjid Tebboune la remporter devant lui. Il a terminé deuxième avec 17% des voix. Il fut un proche de Mahfoud Nahnah, a été ministre du Tourisme à la fin des années 1990 (1997-1999), fut député de la wilaya d’Alger (2002-2007) et même membre du Conseil national de transition (1994-1997). Il peut donc revendiquer une longue relation avec la Issaba à l’agenda de laquelle il adhère.
Tout ça pour ça, est-on tentés de dire. Le régime algérien qui a imposé un ancien Premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika, en la personne d’Abdelmadjid Tebboune, redonne le pouvoir législatif aux affidés de la bande qui a longtemps pillé l’Algérie. Le système, dans son extrême ingéniosité, a su se maintenir avec pratiquement les mêmes, après avoir mis à l’ombre certains de ses membres avec lesquels, il ne faisait plus bon de s’afficher.