Algérie: le mystère non élucidé de l'assassinat des moines de Tibhérine

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Le 05/12/2018 à 12h36, mis à jour le 05/12/2018 à 12h40

La mort des sept moines de Tibéhirine, qui seront béatifiés samedi à Oran avec douze autres religieux catholiques tués durant la guerre civile des années 1990 en Algérie, reste entourée de zones d'ombre, 20 ans après l'assassinat.

Leur destin tragique avait inspiré le film du Français Xavier Beauvois, "Des hommes et des dieux" (2010), Grand Prix du Festival de Cannes.

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept frères de l'ordre cistercien de la Stricte Observance sont enlevés par une vingtaine d'hommes armés dans leur monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibéhirine, dans le fief intégriste de Médéa, au sud-ouest d'Alger.

Les soupçons se dirigent vers le Groupe islamique armé (GIA) dans un pays en pleine guerre civile. Une première revendication tombe le 26 avril via un communiqué. Le chef du GIA Djamel Zitouni propose aux autorités françaises d'échanger les moines contre des membres de cette organisation islamiste faits prisonniers.

Mais, le 23 mai, le GIA annonce "avoir tranché la gorge" des otages deux jours auparavant, expliquant ce massacre par le refus de Paris de négocier.

Les têtes des moines trappistes sont retrouvées par l'armée algérienne le 30 mai sur une route près de Médéa, mais pas les corps.

Interrogations

La thèse officielle algérienne d'un crime islamiste va être remise en cause par des témoignages mettant au jour d'autres versions: bavure de l'armée algérienne ou manipulation des services secrets algériens pour discréditer les islamistes.

En juillet 2002, un ancien militaire algérien, Abderrahmane Chouchane, déclare que Djamel Zitouni était en même temps le chef du GIA et un agent des services secrets algériens.

Puis, un ex-cadre des services algériens de renseignement, Abdelkader Tigha, affirme en décembre 2002 dans les colonnes du quotidien français Libération que l'enlèvement des religieux a été ordonné par les autorités d'Alger en utilisant les services du groupe de Zitouni. Les moines seraient ensuite passés entre les mains d'un autre commando du GIA qui les aurait égorgés.

En 2004, le parquet de Paris, saisi par les proches des victimes, ouvre une information judiciaire.

Exhumation

L'enquête est relancée en 2009 avec le témoignage du général François Buchwalter, ancien attaché de Défense français à Alger, devant le juge antiterroriste Marc Trevidic.

Selon l'officier, qui dit tenir ses informations d'un militaire algérien, les moines ont été tués par des tirs d'hélicoptères militaires algériens, qui avaient ouvert le feu sur ce qui semblait être un bivouac de djihadistes.

En septembre 2011, un livre du journaliste Jean-Baptiste Rivoire, "Le crime de Tibéhirine", produit de nouveaux témoignages décrivant le rôle moteur supposé des services algériens dans l'enlèvement et l'exécution des moines.

A l'automne 2014, des magistrats et des experts français se rendent en Algérie pour l'exhumation des têtes des moines.

En juillet 2015, les experts jugent "vraisemblable" l'"hypothèse d'un décès entre le 25 et le 27 avril 1996", plus de trois semaines avant la date annoncée dans la revendication du GIA, alimentant les doutes sur la version officielle.

Le mystère pas encore levé

En février 2018, les huit experts désignés par les juges antiterroristes et qui ont analysé les échantillons des crânes des moines affirment que "les résultats des analyses n'apportent aucun argument nouveau concernant la cause directe de la mort".

Mais leur rapport met une nouvelle fois en doute les conditions de la mort décrite dans la revendication du GIA, notamment sur le point crucial de la datation des meurtres, et confirme que tous les crânes présentent des signes de "décapitation post-mortem".

"L"hypothèse de décès survenus entre le 25 et le 27 avril", soit bien avant l'annonce officielle de leur mort "reste plausible", estiment les experts.

Me Patrick Baudouin, avocat des familles des religieux, explique que l'absence de traces de balles viendrait aussi une nouvelle fois "fragiliser la thèse d'une éventuelle bavure" de l'armée algérienne lors d'une opération menée depuis un hélicoptère, "sans toutefois l'anéantir totalement car nous n'avons pas les corps".

A la suite du rapport, les avocats des familles ont demandé une expertise sur les données météorologiques entre mars et mai 1996 dans la région où ils ont été assassinés pour confirmer que les moines avaient été assassinés bien avant le 23 mai.

La juge d'instruction Nathalie Poux, qui espère pouvoir réunir les familles des moines en janvier pour les informer des avancées des investigations, a répondu favorablement à leur demande.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 05/12/2018 à 12h36, mis à jour le 05/12/2018 à 12h40