Un vieux précepte de sagesse africaine dit: "quand deux frères se battent, la meilleure attitude à adopter est de leur rappeler leur étonnante ressemblance". Visiblement, pour l'heure, les pays du Maghreb ont décidé de s'en tenir à la neutralité à l'exception de l'Egypte qui est partie prenante et de la Mauritanie.
L'Egypte fait partie du bloc des pays ayant rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, en même temps que l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Yémen. La Mauritanie leur a emboîté le pas mardi 6 juin. En Afrique subsaharienne, la neutralité affichée aux premières heures du conflit est en train de changer. Le Gabon, le Sénégal, les Comores et le Tchad ont tous pris position.
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Pour le Sénégal, à plusieurs reprises, les responsables gouvernementaux ont indiqué n'avoir que quatre constantes diplomatiques: le Maroc, l'Arabie Saoudite, la France et les Etats-Unis. C'est dire qu'avant même que ne tombe le communiqué du mercredi 7 juin, tout le monde savait que le pays de la Teranga pouvait basculer du côté de l'Arabie saoudite. Cela a été le cas, mais sans aller jusqu'à la rupture. "Le Sénégal exprime sa solidarité agissante avec l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l'Egypte", explique un communiqué signé par le chef de la diplomatie, mais pas par le palais présidentiel. De plus, Mankeur Ndiaye a rappelé l'ambassadeur du Sénégal au Qatar pour consultation.
Evidemment, même si diplomatiquement les liens avec l'Arabie saoudite demeurent extrêmement forts, le Sénégal a toujours entretenu d'excellentes relations avec le Qatar. Cette prise de position est critiquée sur les réseaux sociaux, beaucoup ne comprenant pas l'attitude du président Macky Sall.
Par exemple, l'émir du Qatar s'était personnellement impliqué dans la libération de Karim Wade en lui offrant l'asile et en dépêchant son procureur général de l'Emirat pour négocier les conditions de son élargissement. La question qui se pose actuellement est celle de savoir quelles seront les relations du Sénégal avec le Qatar, en cas de retour à la normale entre lui et ses frères du Golfe. Et pour sûr, ils finiront par se retrouver autour d'une table, leur intérêt commun et celui des Etats-Unis en dépendent. Dans ce cas, il est clair que plus rien ne sera comme avant avec le Qatar.
Les Comores également se sont exprimées en prenant position en faveur de l'Arabie saoudite et ses alliés. C'est le seul pays de l'hémisphère sud à être membre de la ligue arabe et aurait peut-être dû lui aussi privilégier une position moins tranchée. «Il fallait faire un choix, les Comores choisissent l'Arabie saoudite même si le Qatar est un pays-frère plus qu'un pays ami», a simplement dit Azali Assoumani, le président de l'Union des Comores.
Juste avant Macky Sall, c'est Ali Bongo du Gabon qui a été le premier à prendre ses distances avec le Qatar pour se ranger du côté de l'Arabie saoudite.
Jeudi 8 juin, c'est le Tchad qui a également annoncé se ranger du côté du bloc formé autour de l'Arabie saoudite.
Toutefois, l'ensemble des autres pays africains préfèrent prendre leurs distances vis-à-vis de cette crise relativement sévère. On feint d'ignorer le sujet, mais dans les coulisses, la diplomatie saoudienne agit activement pour convaincre les partenaires. Certains n'hésitent pas à rappeler que les pays africains sont les premières victimes du soutien au terrorisme dont on accuse le Qatar, mais également les autres monarchies du Golfe. Car, force est de constater qu'elles cherchent à répandre une idéologie tout droit venue du Moyen-Orient.
L'occasion est trop belle de rappeler que le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria, le Cameroun, le Tchad sont autant de nations africaines confrontées aux terroristes. Il y a Mokhtar Belmokhtar et Iyad Ag Ghali par-ci, Abubakar Shekau par-là et à côté de ces trois hommes tristement célèbres d'autres "sème-la-mort" comme Ibrahim Malam Dicko ou Amadou Koufa. L'origine des fonds servant à financer leurs actes terroristes reste jusqu'ici inconnue.
Cependant, de nombreux Africains estimaient bien avant cette crise que le terrorisme sur le continent est financé essentiellement par des citoyens, voire des monarchies du Golfe, adeptes de doctrines djihadistes, et qui sont opposées à l'islam soufi pratiqué traditionnellement sur la bande sahélo-saharienne. Le nom du Qatar est effectivement cité par beaucoup qui ne parviennent pourtant pas à trouver des preuves.
Il y a ensuite la Guinée, la Côte d'Ivoire, voire le Liberia, la Sierra Leone, le Bénin, le Togo ou encore le Ghana, toujours dans la partie ouest du continent. Ces pays ne sont que très peu touchés par le terrorisme, voire pas du tout. En revanche leurs relations diplomatiques avec le Golfe sont fortes.
Un autre précepte de sagesse africaine l'exprime clairement: "ne pas s'interposer dans un conflit, c'est toujours prendre parti en faveur du plus fort des deux protagonistes". Or, le Qatar a beau être un riche émirat gazier, il n'est pas sûr qu'il puisse faire le poids face à ses voisins qui se liguent contre lui. Pour se justifier face aux nombreuses critiques, les gouvernements sénégalais, gabonais et comoriens auront tout le loisir de le rappeler.