La Banque centrale soudanaise a annoncé, le dimanche 21 février 2021, l’adoption du régime du taux de change flottant régulé avec, à la clé, une unification des taux de change des marchés officiel et parallèle. "Le gouvernement de transition a décidé d’adopter un ensemble de politiques visant à réformer et harmoniser le régime de change en appliquant un taux de change flottant dirigé", souligne l’institution.
Seulement, derrière ce vocable se cache la décision politique d’une très forte dévaluation de la livre soudanaise.
En effet, en décidant de s’aligner sur le taux de change du marché parallèle, la Banque centrale fait passer le cours de change de la livre soudanaise de 55 livres pour 1 dollar à 375 livres pour le même dollar. En clair, vis-à-vis du dollar américain, la valeur de la monnaie soudanaise a été divisée par 6,82.
Il s’agit d’une mesure radicale visant à stabiliser l’économie. Et la Banque centrale va contrôler l’évolution du taux de change.
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Il s’agit d’une décision radicale, prise suite aux injonctions du Fonds monétaire international (FMI) et des bailleurs de fonds dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Ces partenaires avaient décidé de ne pas accorder d’appuis financiers tant que les autorités soudanaises n’adoptaient pas une "vérité monétaire".
Cette dévaluation fait partie d’une série de mesures sensées contribuer à attirer les investissements directs étrangers au Soudan, en rendant la destination plus attractive aux yeux des investisseurs. Mais, dans l’immédiat, elle répond surtout aux exigence du FMI et des bailleurs de fonds du pays. Ainsi, et dans le sillage de cette dévaluation, le FMI s’est engagé à restructurer l’importante dette du Soudan qui dépasse les 60 milliards de dollars. Pour leur part, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui sont les principaux partenaires du pays, ont décidé de débloquer plus de 1,5 milliard de dollars d’assistance. De ce montant, 450 millions de dollars doivent être affectés aux familles pauvres.
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Reste à savoir si cette dévaluation pourra concrètement donner une nouvelle impulsion à l’économie soudanaise. Deux pays africains avaient précédemment opéré des dévaluations significatives, le Nigéria et l’Egypte. Le Nigéria n’a pas réussi à récolter les effets escomptés, les exportations étant essentiellement composées d’hydrocarbures. Quant à l’Egypte, elle a su en tirer profit en combinant la dévaluation à une série de réformes pas toujours populaires, dont les élimination et/ou baisses des subventions, les réformes fiscales se traduisant souvent par plus de taxation, le gel de certaines dépenses publiques,…
Seulement, cette forte dévaluation aura des conséquences négatives dont la hausse des prix de nombreux produits. Tous ceux importés, mais également ceux dont la fabrication nécessite des importations de demi-produits ou de matières premières vont connaître des augmentations sensibles. Une situation qui va réduire considérablement le pouvoir d’avocat des Soudanais, notamment des familles les plus vulnérables.
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Cette dévaluation risque donc d’enflammer encore plus la grogne des Soudanais qui ont multiplié les manifestations ces dernières semaines, dans plusieurs villes du pays, pour crier leur ras-le-bol face à l’inflation et aux pénuries de produits de première nécessité. La population est frustrée par l’absence de changement dans leur vie quotidienne, deux ans après la chute de l’ancien président Omar el-Béchir.
Et c’est au cri "Non aux prix élevés, non à la faim", que les manifestants dénoncent l’inflation galopante. Une inflation annuelle qui a atteint un niveau record de 269% en décembre dernier.
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En plus de cette tension inflationniste qui va s’aggraver, cette forte dévaluation de la livre soudanaise va également accroitre fortement la charge du service de la dette exprimée en monnaie locale. En effet, le pays affiche une dette colossale de 60 milliards de dollars, équivalente à 201% du PIB (le PIB ayant chuté à 32,5 milliards), le taux le plus élevé au niveau du continent africain. La hausse de la dette s’expliquant par des dépenses élevées et extrabudgétaires. Cette situation de surendettement réduit la capacité du pays à mobiliser des ressources financières sur les marchés internationaux. Toutefois, avec la levée des sanctions américaines, le pays pourrait bénéficier d’un allègement de sa dette au titre de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés).
En clair, face à cette situation économique et sociale tendue, il n’est pas sûr qu’une dévaluation de cette ampleur de la livre soudanaise soit la panacée pour relancer une économie en déconfiture.