Afrique: une dette colossale de moins en moins soutenable pour de nombreux pays

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Le 10/10/2022 à 15h36, mis à jour le 10/10/2022 à 15h47

Les pays africains sont de plus en plus endettés, nombre d’entre eux affichant des taux d'endettement frôlant ou dépassant les 100%. Et dans le contexte actuel de l’envolée du dollar, les services des dettes explosent et rendent l'endettement de nombreux pays difficilement soutenable.

L’endettement des pays africains s’est aggravé au cours de ces deux dernières années. La pandémie de Covid-19 a désarticulé les finances publiques de la quasi-totalité des pays du continent, poussant à un endettement excessif qui risque de plomber durablement les politiques de relance post-Covid-19 de nombreux pays du continent.

De nombreux pays africains sont aujourd’hui surendettés avec des ratios dette/PIB frôlant ou dépassant même le seuil des 100%, alors que le seuil admis comme soutenable est de 70%. C’est dire que la dette publique dépasse la richesse annuelle créée par ces Etats. C’est le cas du Soudan (212%), de l’Erythrée (170%), du Cap Vert (138%), du Mozambique (125%), de la Zambie (119%), de l’Angola (111%) ou encore des Seychelles (110%), selon des données de 2021. D’autres pays du continent s’approchent dangereusement de ce seuil, tels que l’Egypte (93%), la Tunisie (91%), le Congo (91%), Maurice (88%), le Ghana (82%) et l’Afrique du Sud (81%), entre autres.

Notons toutefois que ces taux ne sont pas l’apanage des pays africains. Par exemple, le Japon est le pays le plus endetté au monde avec un ratio dette/PIB de 257%. Mais cette dette n’inquiète pas le pays. En effet, plus de 60% de la dette publique japonaise relève de la banque centrale qui peut passer l’éponge quand nécessaire et plus de 30% des investisseurs institutionnels sont japonais. Par ailleurs, moins de 6% de cette dette est détenue par des étrangers.

Par ailleurs, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne en matière de dette sur le continent. La République démocratique du Congo (RDC), avec un taux d’endettement de seulement de 12%, figure parmi les pays les moins endettés du continent selon le critère du ratio dette/PIB, des pays comme le Nigeria (23%), le Botswana (25%) et les Comores (30%).

Mais ce qui est encore plus alarmant, c’est que la dette extérieure africaine n'a cessé de croitre de manière inquiétante au cours des dernières années. A titre d'illustration, en 2021, celle-ci frôlait les 1.000 milliards de dollars, dont 700 milliards de dollars relevant des pays d’Afrique subsaharienne, soit l’équivalent de plus de 36% du Produit intérieur brut (PIB) du continent.

L'Afrique du Sud et l'Egyte sont les pays les plus endettés vis-à-vis de l'extérieur en volume, avec des montants respectifs de 169,32 milliards de dollars (69% du PIB) et 158 milliards de dollars. Si au niveau mondial, ce montant reste dérisoire, sachant que la dette des pays asiatiques dépasse les 7.000 milliards de dollars, c’est la dette africaine qui suscite le plus d’inquiétudes.

Aujourd’hui, le service de la dette du continent pèse lourd dans les budgets des Etats. Alors qu’il représentait 5% des revenus des pays africains en 2010, il s'est multipliée plus de 3 fois pour s’établir à 16,5% fin 2021, selon les données de l’ONG britannique Debt Jubilee Campaign.

La situation est telle que pour de nombreux pays du continent, les craintes de défaut de paiement ne sont pas à écarter. D’ailleurs, les agences de notation multiplient les alertes sur la possibilité pour certains pays de se retrouver dans l’incapacité de rembourser leurs dettes. C’est le cas de la Tunisie, de l’Ethiopie, du Ghana, de la Zambie, entre autres.

Autre donnée inquiétante: contrairement à certaines idées régulièrement martelées, la Chine n’est pas le premier créancier du continent. Selon Debt Jubilee Campaign, 35% de la dette extérieure africaine est détenue par des prêteurs privés occidentaux (banques, gestionnaires d’actifs…). Ceci, sachant que les taux d’intérêt adossés aux prêts en provenance du Vieux continent sont deux fois supérieurs à ceux des Chinois.

A cause de leur niveau d’endettement élevé, de plus en plus de pays africains consacrent une part beaucoup plus importante de leurs ressources budgétaires au remboursement de leur service de la dette. C’est le cas de l’Angola, du Ghana ou encore de la Zambie qui consacrent plus de 40% de leurs recettes budgétaires au remboursement du service de leurs dettes extérieures. Pour un pays pétrolier comme l’Angola, ce ratio dépasse même les 60%.

Et la situation devrait se corser davantage dans les années à venir, ces deux dernières étant marquées par un endettement conséquent. En plus, l’appréciation du dollar vis-à-vis des monnaies africaines, dans le sillage du relèvement du taux directeur de la Federal Reserve, va se traduire mécaniquement par un alourdissement du service de la dette libellée en dollar.

A titre d’exemple, le cédi (Ghana), la livre égyptienne et le dinar tunisien ont perdu respectivement, depuis le début de l’année, 74,14%, 22,43% et15% de leurs valeurs vis-à-vis de la monnaie américaine. De même, les taux d’intérêt aussi connaissent une hausse. Les investisseurs étrangers qui veulent acquérir des obligations des pays africains demandent plus de gages. Une situation qui a fait exploser les spreads des dettes de nombreux pays du continent.

Dès lors, de nombreux pays africains font face à plusieurs problèmes combinés: hausse des cours du pétrole et des produits alimentaires importés, surendettement, tarissement des sources de financement, croissance économique molle… Et ils se tournent de plus en plus vers le Fonds monétaire international (FMI). Actuellement, le Ghana (qui avait décidé de lui tourner le dos), l’Egypte, la Tunisie et tant d‘autres pays du continent négocient des prêts de l’institution afin de faire face à la crise qu’ils traversent, aggravée cette année par la guerre Russie-Ukraine. Des prêts du FMI qui vont faciliter les sorties de ces pays sur les marchés internationaux de la dette.

Et comme ces dettes servent essentiellement, dans l’état actuel de la conjoncture mondiale, à financer des déficits budgétaires creusés surtout par les subventions (hydrocarbures et produits alimentaires notamment) et non des investissements productifs à même de contribuer à leur remboursement, on peut dire que de nombreux pays du continent sont bien engagés dans un cercle vicieux. 

Par Moussa Diop
Le 10/10/2022 à 15h36, mis à jour le 10/10/2022 à 15h47