Envolée du dollar: de nombreuses monnaies africaines se déprécient fortement vis-à-vis du billet vert

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Le 10/09/2022 à 16h58, mis à jour le 10/09/2022 à 17h10

L’appréciation du dollar vis-à-vis de l’euro a eu des impacts sur de nombreuses monnaies africaines. Le franc CFA, le dirham marocain et le dinar tunisien, figurant parmi les monnaies les plus stables du continent, en sont impactés et ce, pour diverses raisons.

L’impact de la guerre en Ukraine, avec une inflation galopante, plus marquée dans les pays européens, et la politique de resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine ont été plus favorables sur le dollar qui n’a cessé de s’apprécier vis-à-vis de l’euro. Lundi dernier, 5 septembre 2022, l’euro reculait de 0,26% à 0,9903 dollar, après avoir chuté jusqu’à 0,9883 dollar, son plus bas depuis décembre 2002. Depuis le début de l’année, la monnaie unique européenne a perdu 13% de sa valeur face au billet vert américain.

Cette vigueur du dollar a aussi impacté de nombreuses monnaies africaines, dont notamment les monnaies des principales économies du continent, hormis celles dont les économies reposent essentiellement sur le pétrole. Ainsi, le franc CFA, le dirham marocain, le dinar tunisien, le cédi ghanéen, la livre égyptienne, le rand sud-africain… se sont dépréciés face au dollar pour diverses raisons.

Pour le franc CFA, la dépréciation est logique sachant que la monnaie des pays africains de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) est adossé à l’euro, via une parité fixe de 1 euro égal à 655,95 francs CFA. Ainsi, la monnaie des 14 pays africains ayant le franc CFA comme devise commune subit une dépréciation identique à celle de l’euro vis-à-vis du dollar. Sur un an, le FCFA a ainsi perdu 16,35% de sa valeur par rapport au dollar.

Outre les pays de zone CFA, le Maroc aussi a vu sa monnaie afficher une dépréciation de 14,86% vis-à-vis du dollar depuis janvier 2022. Sur un an, la dépréciation est même de 19,23% par rapport au billet vert américain. Il faut souligner que la monnaie marocaine repose sur un panier de devises dans lequel l’euro pèse 60%.

Dans le même sillage, le dinar tunisien aussi s’est déprécié vis-à-vis du dollar de 11,26% depuis le début de l’année et 14,79% depuis un an. La monnaie tunisienne était, il faut le reconnaître, sur un trend baissier vis-à-vis des devises internationales à cause de la morosité économique que connaît le pays depuis plus d'une décennie. D’ailleurs, sur les 5 dernières années, le dinar tunisien s’est déprécié de 32,41% par rapport au dollar.

Toutefois, la monnaie qui s’est le plus dépréciée parmi les principales monnaies africaines est le cédi du Ghana qui a perdu 62,15% de sa valeur vis-à-vis du dollar depuis le début de l’année. Le pays traverse une crise économique aiguë et négocie actuellement un soutien du Fonds monétaire international (FMI). Le taux d’inflation s’établissait à 31,7% à fin juillet dernier.

Dans le même sillage, la livre égyptienne aussi a beaucoup perdu de sa superbe vis-à-vis du dollar en affichant une dépréciation de 22,43% depuis le début de l’année. Outre l’inflation galopante à 14% actuellement, à cause d’une conjoncture économique difficile, cette dépréciation forte est surtout le résultat de la dévaluation de la livre égyptienne de 14% en mars dernier.

Au-delà de l’adossement à l’euro pour certains pays, les dépréciations s’expliquent par la vigueur du dollar portée par une économie américaine qui affiche une bonne résilience dans un contexte économique mondiale difficile, une politique de resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale, les fortes inflations que subissent certains pays africains, le recul des réserves de changes des pays, les politiques monétaires (dévaluation)…

Parmi les monnaies qui ont mieux résisté figurent le rand sud-africian et le shilling kenyan en repli, depuis le début de l’année, de respectivement 8,52% et de 5,54%.

A noter que parmi les principales monnaies africaines qui ont bien résisté depuis le début de l’année figurent essentiellement celles des pays exportateurs de pétrole. C’est le cas du dinar algérien qui a cédé 1,53% vis-à-vis du billet vert depuis le début de l’année. C’est le cas également du naira nigérian en repli de 2,25%. Mieux, le kwanza de l’Angola s’est permis de s’apprécier fortement vis-à-vis du dollar avec un gain de 22% depuis le début de l’année et 31,32% depuis une année. Les pays pétroliers africains bénéficient de l’embellie permise par la bonne orientation des cours des hydrocarbures dans le sillage de la crise en Ukraine. Les pays rentiers africains bénéficient de fortes rentrées de devises gonflant ainsi leurs réserves de change soutenant par la même occasion leur monnaie.

L’appréciation du dollar a des impacts divergents sur les secteurs et les économies des pays africains. D’abord, l’appréciation du dollar aura des impacts positifs sur les exportations des pays exportateurs de matières premières (phosphates, or…), de produits agricoles (cacao, coton…), d’hydrocarbures et autres produits libellés en dollars. La dépréciation de certaines monnaies vis-à-vis du dollar va améliorer la compétitivité de certains pays exportateurs africains vis-à-vis de leurs concurrents dont les monnaies sont restées relativement stables par rapport au dollar. Ensuite, l’augmentation des recettes tirées des exportations va gonfler artificiellement les ressources budgétaires des pays dont les monnaies se sont dépréciées vis-à-vis du dollar et contribuer à atténuer l’importance des déficits budgétaires.

En outre, les dépréciations des monnaies vont rendre les économies des pays concernées plus attractives pour les investisseurs étrangers et les touristes américains. Cela devrait notamment profiter aux pays maghrébins qui sont les plus touristiques du continent. Toutefois, à ce titre, il faut souligner que l’essentiel des touristes visitant le continent est constitué d’Européens.

L’appréciation du dollar aura aussi des impacts négatifs sur les pays du continent. Etant de grands importateurs de produits alimentaires dont les prix sont élevés actuellement (blé, farine, huile, pâtes, produits laitiers…), les pays dont les monnaies se sont dépréciés seront impactés avec une hausse de la facture en monnaie locale, ce qui va entretenir l’inflation déjà élevée dans presque tous les pays du continent et impacter aussi les balances commerciales. De même, la hausse de la facture des importations des intrants va aussi impacter les coûts de production des entreprises africaines qui importent en dollar.

Enfin, l’appréciation du dollar vis-à-vis des monnaies africaines se traduira par un renchérissement du coût du service de la dette libellée en monnaie américaine. En clair, les pays devront mobiliser davantage en monnaie locale pour faire face au service de leur dette. C’est dire que l’appréciation du billet vert va impacter négativement les balances des opérations courantes.

Par Moussa Diop
Le 10/09/2022 à 16h58, mis à jour le 10/09/2022 à 17h10