La publication du rapport de la Banque mondiale, et surtout la réaction hystérique de l’Agence presse service (APS) et de certains médias et économistes à la solde du gouvernement, ont focalisé l’attention ces derniers jours en Algérie. Mais la sortie de l’ex-gouverneur de la Banque centrale du pays, éminent économiste et ancien ministre délégué au Trésor, Bedreddine Nouioua, sur la politique de dépréciation continue du dinar, qui n’est autre qu’une «dévaluation déguisée», est sans équivoque.
Il faut souligner que la perte de valeur de la monnaie algérienne face aux devises étrangères (dollar, euro, livre sterling…) est inquiétante pour un pays pétrolier. Entre début janvier et fin novembre 2021, comparativement à la même période de l’année précédente, le dinar s’est déprécié de 6,21% par rapport au dollar, passant d’une moyenne de 126,37 dinars à 134,74 dinars pour 1 dollar. Face à l’euro, la dépréciation a été encore plus importante en décrochant de 10,38% sur la même période passant de 143,42 dinars à 160,03 dinars pour 1 euro.
Cette politique de dépréciation continue du dinar va se poursuivre dans les années à venir, comme le laisse apparaître la loi de finances 2022 qui fait état de la poursuite de la politique de «dévaluation déguisée» et ce, jusqu’en 2024. Selon les projections pour les années 2022 et 2023, le dollar devrait continuer à s’apprécier pour s’échanger contre 149,31 dinars à fin 2022, puis 156,78 dinars en 2023 et 164,6 dinars en 2024, pour une unité du billet vert américain. En clair, selon ces projections, entre 2020 et 2024, le dinar algérien devrait encore se déprécier de 28,64%.
Une monnaie algérienne qui ne cesse de se déprécier depuis quelques années et plus encore depuis 2014, compte tenu de la crise économique et financière que traverse l’Algérie. Seulement, si la situation économique du pays devrait se traduire par une dépréciation de la monnaie algérienne, dans le sillage de la baisse importante de ses réserves en devises, la chute du dinar a été surtout le fait de la volonté politique des dirigeants algériens. Partant, elle ressemble plus à une «dévaluation déguisée» qu’a une dépréciation logique de la monnaie locale vis-à-vis du dollar et de l’euro.
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En effet, face à la chute des recettes des hydrocarbures qui représentent entre 50 et 60% des ressources budgétaires, selon leur importance, les autorités algériennes ont joué sur les ressources fiscales en devises tirées des exportations des hydrocarbures pour gonfler artificiellement les ressources budgétaires en dinars et ce, afin d’atténuer le niveau du déficit budgétaire abyssal. Ainsi, la «dévaluation déguisée» a joué un peu le rôle d’amortisseur du déficit en gonflant en monnaie locale les ressources budgétaires tirées des recettes fiscales provenant des hydrocarbures.
Seulement, si la dépréciation du dinar a permis d’atténuer l’ampleur du déficit budgétaire, le rôle d’amortisseur est loin d’atteindre les effets escomptés. Les choses sont allées de mal en pis.
Après un déficit budgétaire de 20 milliards de dollars enregistré en 2020, l’exercice 2021, en dépit des fortes hausses des cours des hydrocarbures, devrait enregistrer un écart de 3.614 milliards de dinars, soit 27 milliards de dollars, représentant 17,6% du PIB du pays.
En clair, si la dépréciation du dinar, qui gonfle artificiellement les recettes tirées des exportations des hydrocarbures, permet d’atténuer un peu le déficit budgétaire, elle ne constitue pas une panacée pour équilibrer le budget de l’Etat. Pire, ces effets sont globalement désastreux sur les ménages, les entreprises et les investisseurs étrangers.
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Ainsi, les économistes algériens sont unanimes pour souligner que les inconvénients de cette politique de dépréciation du dinar sont beaucoup plus importants que ses avantages.
Et quand la critique de cette politique monétaire vient d’un ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, elle prend tout son sens. Mieux, les mots utilisés par Bedreddine Nouioua, en ce qui concerne la dépréciation du dinar sont très lourds de sens.
Dans un entretien au journal Liberté, il avance tout simplement que la dépréciation du dinar «n’a servi absolument à rien», alors qu’elle était censée rendre les exportations algériennes plus compétitives.
Or, sur ces dernières, constituées à hauteur de 95% des hydrocarbures dont les cours sont fixés sur le marché international et qui sont facturées essentiellement en dollar, la «dévaluation» du dinar n’a aucun impact. Pour le reste des produits -ciment, fer, sucre et dattes-, exportées en faibles quantités, hormis les dattes, l’effet de la dévaluation est plus que négligeable du fait que les quantités sont marginales et que ces produits sont déjà fortement subventionnés grâce au coût du gaz et de l’électricité facturé par l’Etat. D’ailleurs, même la Banque mondiale a souligné que le rythme soutenu de cette dépréciation «ne suffira pas à compenser la baisse des exportations par la suite».
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En outre, cette dépréciation continue de la monnaie locale s’est traduite par un renchérissement continue des factures des biens importés en dinar. Cette politique est donc l’une des raisons de l’inflation qui touche actuellement de nombreux produits. Les importateurs, qui font déjà face à la hausse généralisée des prix sur le marché international, sont également handicapés par la valeur dépréciée du dinar. Deux facteurs qui contribuent à renchérir les cours des biens importés et qui sont répercutés sur le consommateur final. Conséquence, les prix des produits importés, ou contenant des intrants importés, augmentent.
Et d’ailleurs, selon les données de la Banque d’Algérie, l’inflation a atteint un niveau alarmant de 9,2% en octobre dernier. Plus grave, selon la gardienne de la politique monétaire, cette flambée des prix touche particulièrement les produits alimentaires «à cause de la forte croissance des prix des produits agricoles frais qui ont marqué une évolution de 16,5% en octobre 2021, contre 1,9% le même mois de l’année passée», a relevé le gouverneur de la Banque d’Algérie, Rostom Fadhli.
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A ce titre, on peut noter que les pâtes alimentaires ont vu leur prix passer de 40 à 80 dinars, celui des viandes blanches de 320 à 500 dinars,…. Des hausses qui s’expliquent essentiellement par le fait que les cours des produits importés et le fret ont augmenté, en plus de la dépréciation du dinar qui renchérit la facture des importations, poussant les producteurs et les importateurs à répercuter ces hausses sur les consommateurs finaux.
Conséquence, la population algérienne s’appauvrit à cause de la perte de son pouvoir d’achat. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie rejoint une des critiques du dernier rapport de la Banque mondiale soulignant que les efforts de rationalisation des subventions et la dépréciation de la monnaie nationale «contribuent à une hausse marquée de l’inflation».
Par ailleurs, cette politique «décourage les investisseurs, renchérit les coûts des intrants pour les entreprises, à l’heure où les discours officiels plaident pour l’augmentation de la part de la valeur ajoutée de la production nationale», explique l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie.
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Conséquence, cette politique ne fait «qu’alimenter la spéculation et la fuite des capitaux», souligne l’ancien gardien de la politique monétaire algérienne. En atteste le différentiel des cours de change entre les marchés officiel et parallèle du pays. En effet, alors qu’il faut sur le marché officiel 139 dinars pour 1 dollar et 157 dinars pour 1 euro, au niveau du marché parallèle, qui est le véritable marché de change en Algérie, il faut entre 193 et 196 dinars pour 1 dollar et entre 214 et 216 dinars pour 1 euro. Le gap important entre les deux marchés est à l’origine de la spéculation.
Pour l’ancien gouverneur, la dépréciation continue du dinar algérien, voulue par les autorités, «a produit plus de dégâts qu’elle en a solutionnés».
En conséquence, Bedreddine Nouioua n’hésite pas à souligner que «c’est de la délation que de laisser le dinar se déprécier sans répit pour pouvoir obtenir une hausse artificielle des recettes».